Nous poursuivons notre Cycle Rêve en vous proposant de pénétrer dans l'univers sombre, mystérieux et enfumé de David Lynch :
Épaulée par son amie Sandy, Jeffrey, un jeune homme, mène son enquête concernant une oreille humaine trouvée dans un terrain vague. Il croise sur son chemin Dorothy Vallens, une mystérieuse chanteuse de cabaret.
Et pour résumer :
Rendez-vous le mercredi 1er février, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Blue Velvet
de David Lynch
Dans
la petite ville de Lumberton, les pelouses resplendissent sous le
soleil, les fleurs soigneusement alignées brillent, les barrières
en bois sont peintes en blanc. Ordre paisible et sans tâche que ne
trouble qu’à peine l’attaque cardiaque du père de Jeffrey
Beaumont (MacLachlan). Revenant de l’hôpital, celui-ci traverse
une pelouse, et plus par ennui que par angoisse, lance des pierres
sur une bouteille. C’est alors qu’il découvre, là, dans
l’herbe, une oreille. Une oreille humaine, qui commence déjà à
se putréfier. Rompt-il l’ordre édénique, ce fragment de corps
dont la présence individuelle paraît dénuée de tout sens ?
Pas vraiment, et les fourmis le savent bien, qui s’affairent déjà.
Mais il sera l’occasion, pour Jeffrey et Sandy Williams (Laura
Dern), la fille du marshall, de se lancer dans une enquête. Ces
jeunes naïfs montrent déjà plus de fascination que de dégoût, et
plus encore quand cette oreille se révèlera la clé d’un univers
étrange et irréel...
Une
œuvre charnière de David Lynch
Réalisé
en 1985, Blue
Velvet
marque un moment singulier dans le travail de Lynch. Venu du cinéma
expérimental, celui-ci produit, à partir de la fin des années
1970, les œuvres qui vont assurer son succès tout en réorientant
ses préoccupations. Eraserhead
(1977), par un mariage inédit du symbolisme et de l’animation,
Elephant
Man
(1980), par la magnifique photographie du noir et blanc (signée
Freddie Francis) renouaient avec un désir esthétique absolu. Ces
films orientaient Lynch vers des domaines déjà arpentés par l’un
de ses maîtres, Ingmar Bergman : il n’y a dans ses contes
métaphysiques aucun second degré protecteur, ils nous emmènent
dans les régions les plus intimes de l’inconscient. D’un autre
côté, Lynch monte ses œuvres selon une intrigue et un mode de
narration conventionnelle. On le retrouvera dans Blue
Velvet.
Ce
film, comment le caractériser ? On retrouve le flou habituel
qui entoure la classification des œuvres de Lynch. Blue
Velvet
commence come un polar, menant deux jeunes personnes de la pelouse où
a été retrouvée la trace du crime à la zone industrielle, en
passant par les habituels diners
où
ils jouent les détectives et tombent amoureux. Mais ce faux polar
bascule finalement dans un cauchemar langoureux, entraînant
personnages et spectateurs dans un univers expressionniste, onirique
et bigarré. La réussite du film tient à ce qui fera la renommée
de Lynch, dans la série Twin
Peaks
ou Mulholland
Drive,
c’est-à-dire le mélange subtil d’étrange et de familier. Du
récit erratique de Blue
Velvet
à sa bande son, qui oscille de la musique ouatée et doucement
effrayante d’Angelo Badalamenti (coécrite par Lynch lui-même) à
des anodines ballades pop, comme celle qui donne son nom au film,
tout désoriente et angoisse le spectateur.
Le
revers de l’american
way of life
Les
commentaires autour du film de Lynch ont pris notamment pour sujet la
vision négative proposée par l’auteur de la vie dans les
banlieues pavillonnaires, où résident les classes moyennes
américaines. Comme dans American
Beauty
des années plus tard, une violence, un malaise, une horreur cachés
s’y réveillent. L’évocation chez Lynch en est d’ailleurs
peut-être moins subtile que fascinante et élégante. Une
controverse, qui n’avait que peu de raisons d’être, tant le film
se refuse à la provocation, s’éleva face à la violence sexuelle
de certains moments, et à la figure du psychopathe sadique joué par
Dennis Hopper. En réalité la présence de Hopper est pleine de
sens. Lui qui symbolisait la génération d’indépendants à la fin
des années 1960, ces jeunes gens épris de liberté et de grands
espaces, incarne Franck Booth, le démon de Lumberton, c’est-à-dire
d’un endroit fixe, inamovible, qui se complaît sans sa
tranquillité apparente. Booth n’est pas l’opposé de ces jeunes
qui portent la contre-culture. Il en était, et il a vieilli. Il est
devenu un tortionnaire pervers et malade.
Derrière
la crise existentielle du mode de vie des Américains « moyens »,
se cache cependant une réflexion de David Lynch sur l’un de ses
thèmes favoris : le voyeurisme. Au moment de pénétrer dans le
logement de la danseuse du night-club Dorothy Vallens (Isabella
Rossellini), Jeffrey montre une excitation qu’il n’avoue ni à
Sandy ni à lui-même. « I’ll bet a person could learn a lot
by getting in that woman’s apartment… ». Contrairement à
Fenêtre
sur cour
d’Hitchcock ou Blow
up
d’Antonioni, le voyeur ne tente pas ici de reconstituer la réalité
à partir d’indices volés par la vue, mais, immédiatement pris
sur le fait, il est contraint d’en voir beaucoup plus qu’il ne le
souhaitait. La scène du viol nous plonge dans une analogie
problématique avec le rêve : est-ce un simple cauchemar,
révélant les fantasmes du héros ? Ou le rêve permet-il de se
dissimuler la lâcheté, l’inaction du témoin ?
Carl-Loris