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Stalker, d'Andreï Tarkovski (mercredi 08 février 2012)



Trailer de Stalker (1979), d'Andreï Tarkovski


Nous avons été très heureux de vous accueillir si nombreux pour Blue Velvet la semaine dernière. Pour terminer en beauté ce cycle consacré au rêve, nous vous proposons un film envoûtant d'Andreï Tarkovski : Stalker, sorti en salles en 1979. Nous espérons vous voir nombreux pour ce grand réalisateur, malgré la semaine de césure ! Pour résumer :



Rendez-vous le mercredi 08 février, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Stalker
d'Andreï Tarkovski





Tarkovski, mode d'emploi

Le rêve au cinéma n'est jamais aussi bien traité que lorsqu'il devient rêve en cinéma, c'est-à-dire quand le cinéma n'est plus traité comme simple support d'un discours sur le rêve mais envisagé, à partir des moyens qui lui sont propres, comme la matière même du rêve.

Notre cycle s'est proposé d'examiner les différents liens entre rêve et cinéma en passant d'abord par l'exploration du fonctionnement psychique des rêves (Paprika) pour s'aventurer ensuite dans les dédales lynchéens du cauchemar qui renverse le familier en inquiétante étrangeté (Blue Velvet). Le parcours s'achève ce soir avec un film-rêve : Stalker ne traite pas du rêve ; Tarkovski ne cherche aucunement à révéler au spectateur les mécanismes de l'esprit au repos et ne prétend pas non plus délivrer une vérité sur le réel en passant par son autre, l'imaginaire. Stalker est d'abord et avant tout une matière onirique. D'aucuns chercheront un sens allégorique dans le parcours initiatique des trois protagonistes avançant péniblement dans la « Zone », à la recherche d'une chambre miraculeuse en mesure de réaliser les désirs de ceux qui y pénètrent. De multiples interprétations sont effectivement possibles, recevables même jusqu'à un certain point. Mais toujours insuffisantes ou réductrices, elles ne pourront rendre justice à un cinéma qui ne se cherche jamais à se présenter comme une énigme à déchiffrer. Il n'y a rien à comprendre dans le cinéma de Tarkovski : ne cherchez pas la signification qui vous permettrait de déceler les secrets de la Zone comme on résoudrait un problème dont seule la solution importe. Il n'y a pas de clés magiques dans Stalker. Rien de tel chez Tarkovski : ni problèmes, ni solutions ni clés ; seules existent les sensations. Stalker est un film-rêve car il fait taire, pour un temps -le temps que dure le film- les facultés raisonneuses et raisonnables. Regardez, écoutez et éprouvez.


Il est des lieux où souffle l'esprit

Stalker, comme Solaris, emprunte certaines de ses caractéristiques au film de science-fiction. Mais la science-fiction chez Tarkovski est toujours très vite abandonnée et reléguée au rang de prétexte. L'intérêt de ses films ne réside pas dans leur inscription générique, il ne s'agit là que d'un détour pour tenter d'exprimer l'inexprimable ; de trouver un moyen approprié pour donner à voir ce qui est invisible à l'œil nu : l'intériorité. Stalker est travaillé par la question du désir, de l'espoir et de la croyance. Non seulement la chambre des désirs, mais toute la Zone n'existe qu'en tant qu'elle est habitée par des hommes pensants et désirants. Ces lieux sont à l'image de ceux qui les pénètrent ; ils sont littéralement informes puisqu'ils se métamorphosent selon lespersonnalités de ceux qui les traversent, comme des projections externes de désirs intérieurs. La Zone dresse ainsi une topographie des âmes qui la parcourent : elle se fait manifestation objective de ce qui est le plus intimement subjectif. A ces espaces fluctuants s'oppose le quotidien concentrationnaire régis par des lois scientifiques et immuables. Toute spiritualité s'est échappée de ce monde aux couleurs délavées et aux teintes sépias. Le stalker est un rêveur plein d'espoir, un passeur de monde : il entraîne et guide ses deux compagnons -le scientifique et l'écrivain qui appartiennent à l'univers triste et pauvre du présent techniciste- dans un monde coloré et dangereux, l'espace du sacré. On ne pénètre pas impunément dans la Zone : les repères spatiaux n'existent plus, et le chemin le plus direct n'est pas toujours le plus court. C'est alors que commencent les arabesques tarkovskiennes et leurs cortèges de déplacements immobiles. S'il y a des règles à respecter dans cette zone sacrée, un comportement digne à avoir, il y a aussi des points de non-retour vers lesquels on rebrousse pourtant chemin et des marches arrières qui sont des pas en avant : la logique et la géométrie euclidiennes n'ont pas cours dans ce lieu à la géographie instable. C'est donc par sauts progressifs (les lancers d'écrous) que l'on s'aventure sur cette terre mouvante qui n'est autre qu'un espace mental, un lieu préservé au sein duquel les signes du sacré n'ont pas complètement disparu.


Sculpter le temps

La plongée dans la sensation qu'opère Stalker fait pénétrer le spectateur dans une temporalité qui n'existe pas dans le quotidien prosaïque : le temps que les trois protagonistes passent dans la Zone ainsi que celui de la projection s'affranchissent du temps mesurable et quantifiable des horloges. Avant d'être un film, Satlker peut être défini comme une expérience de cinéma : le montage classique qui organise habituellement les repères spatio-temporels du spectateurs est nié dans son principe même. Tarkovski prend son temps : il ralentit la durée des plans, exacerbe leur longueur et repousse autant que possible le moment fatidique du cut. Le spectateur est invité à partager la lenteur du plan, à adopter le rythme de cette géographie mentale et appelé à modeler lui-même la matière proposée, matière onirique s'il en est.

Ce film-rêve est aussi la matérialisation d'un désir de fusion : fusion de la temporalité en durée, aplatissement de l'image en icône (le plan en plongée sur la piscine de la chambre des désirs). L'emblème de la fusion chez Tarkovski est la glaise, mélange de terre et d'eau, image obsessionnelle qui permet d'organiser la composition des plans. Les paysages marécageux qui hantent l'imaginaire tarkovskien sont des miroirs troubles qui renvoient aux hommes leurs véritables désirs, les mettant face à leur condition. Les trois personnages doivent s'humilier au sens propre du terme, c'est-à-dire ne faire plus qu'un avec la terre pour avancer dans la Zone. Comme la glaise, le temps et son corrélat spatial se modèlent, se sculptent : l'humain y laisse son empreinte.

Austère et pessimiste quant à la possibilité de redonner au monde moderne une spiritualité désormais dissoute dans le scientisme technocrate (le stalker à la foi inébranlable finit par désespérer), Stalker s'achève cependant sur une nuance d'espoir. Le miracle du dernier plan, opéré par l'enfant -seul être dont la foi perdure- réaffirme la force de l'esprit, capable de dompter la matière.

Mélodie