Cette semaine, nous ouvrons notre Cycle Rêve avec le film de Satoshi Kon : Paprika. Petit bijoux d'animation, ce film coloré et futuriste nous invite à l'exploration de notre inconscient et de son joyeux chaos.
Dans le futur, un nouveau traitement psychothérapeutique nommé PT a été inventé. Grâce à une machine, le DC Mini, il est possible de rentrer dans les rêves des patients, et de les enregistrer afin de sonder les tréfonds de la pensée et de l'inconscient.
Alors que le processus est toujours dans sa phase de test, l'un des prototypes du DC Mini est volé, créant un vent de panique au sein des scientifiques ayant développé cette petite révolution. Dans de mauvaises mains, une telle invention pourrait effectivement avoir des résultats dévastateurs...
Et pour résumer :
Rendez-vous le mercredi 25 janvier, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Paprika
de Satoshi Kon
Synopsis rédigé collectivement (expérience inédite !) par Léonard et Gabriel.
Une
fois n'est pas coutume, nous ouvrons ce cycle consacré au rêve dans
le cinéma par un film d'animation japonais, réalisé par un grand
maître de l'anime,
Satoshi Kon. Ce dernier a souvent évoqué dans ses longs métrages
la frontière : entre réalité et paranoïa dans Perfect
Blue ; entre réalité et
cinéma dans Millenium Actress.
Ici, c'est la démarcation entre le rêve et la réalité qui
s'estompe, un thème que Satoshi Kon brode de plusieurs autres
questions : quel rapport existe-t-il entre rêve et cinéma ?
L'avènement de l'Internet permettrait-il de créer une communauté
de rêveurs, partageant tous la même hallucination ?
Dans un futur proche, une équipe
de chercheurs en psychanalyse met au point un appareil sans égal, le
DC Mini, qui permet au thérapeute d'entrer dans les rêves de son
patient, que ce soit pour les enregistrer en vue d'une analyse ou
pour intervenir directement pendant le songe. Mais le DC Mini
rencontre l'opposition virulente du directeur de la clinique, et le
projet toujours en développement est suspendu. C'est alors que le
précieux — ou dangereux ? — équipement est dérobé.
L'identité du voleur est inconnue, mais ses intentions malsaines ne
font rapidement plus aucun doute : le chaos guette l'ordre du
monde lorsqu'il utilise le DC pour manipuler ses victimes dans leur
sommeil, et les pousse au suicide ou à la folie. L'équipe chargée
du développement de l'appareil, Atsuko Chiba et son assistant Himuro
se lancent à sa poursuite, tandis qu'une mystérieuse « Paprika »
fait son irruption dans le monde onirique...
Le
rêve au cinéma : un sujet galvaudé ?
Paprika
est réalisé dans une période qui a connu de nombreux films
consacrés à cette lisière ténue, entre ce qui est réel et ce qui
ne l'est pas, période dont Inception
se voulait la synthèse. Beaucoup d'élements de scénario sont
d'ailleurs littéralement empruntés au dessin animé de Satoshi
Kon : la machine à rêver et le partage du rêve ;
l'ascenseur qui voyage dans les souvenirs, métaphore du cinéaste
qui nous emmène progressivement dans les profondeurs de
l'inconscient du rêveur.
Mais
là où Inception veut
faire passer le rêve pour la réalité, Paprika représente
à l'écran la contamination du réel par l'onirique, avec son lot de
chaos et d'incontrôlable. Quand Nolan fixe les règles du jeu,
Satoshi Kon s'attache à les détruire pour ne jamais les remplacer,
tout à la fois dans les rebondissements aléatoires de l'histoire
que dans sa retranscription à l'image : le spectateur vivant
l'expérience de confusion entre rêve et réalité, dans ce monde où
les repères n'existent plus. Le pouvoir de l'animation permet ici
d'élaborer des scènes qu'un film traditionnel peinerait à
représenter : le décor qui se dérobe sous les pieds d'un
personnage, la parade loufoque et tonitruante qui semble annoncer la
fin prochaine de la raison, la succession et la transformation de
lieux comme de visages à un ryhtme effrené. Le dessin et
l'utilisation — à l'époque novatrice et exceptionnelle dans son
intégration — de la 3D permettent de donner aux rêves cette
fluidité qui les rend insaisissable, et aussi ce caractère à la
fois ressemblant et irréel.
Le
cinéma, cette machine à rêver
Pourtant,
ce dessin animé fait aussi la part belle au cinéma, et aux rêves
de cinéma. On pense, par exemple, à cette séquence comique où le
policier vit en compagnie de Paprika
plusieurs scènes de genre référencées : Tarzan, l'assassinat
dans un train, le baiser sur fond de soleil couchant, etc. Dans ce
cas-là, Satoshi Kon semble plutôt évoquer la manière qu'a le
cinéma de créer du rêve. D'autres scènes montrent davantage
comment le rêve peut traverser les films, à travers l'image de la
parade qui traverse — littéralement ? — l'écran. La
machine à rêver, n'est-ce pas aussi la caméra Super 8 des temps de
l'enfance, qui a servi à produire ce film inachevé, cette
« mauvaise histoire de flics » qui obsède le policier ?
Ou tout simplement, le film n'évoque-t-il pas le cinéma en
général ? En effet, Satoshi Kon, lorsqu'il veut représenter
les discontinuité d'un rêve et entraîner le spectateur à sa
suite, utilise habilement les codes que le cinéma utilise au
contraire pour marquer la continuité. On pense aux raccords de
gestes, aux plans séquences ou autres mouvements de caméra qui
d'ordinaire nous permettent de saisir la cohérence d'un scène mais
qui ici rendent crédible un enchaînement illogique de situations
que seul le songe autorise. Il n'y a rien de surprenant à penser le
cinéma comme une immense illusion.
Un
rêve 2.0
La
machine n'est pas seulement une allégorie du projecteur de cinéma
mais interroge également les conésquences de la virtualisation sur
le réel : un Internet pour tous, une conscience pour tous, un
rêve pour tous ? En nous connectant, ne rejoignons-nous pas
tous ce songe permanent, cette monstrueuse parade colorée qu'est
l'Internet ? Satoshi Kon ne nous rappelle-t-il pas ici le danger
de la confusion entre l'avatar — Paprika — et la personne
réelle — Dr. Atsuko Chiba — et la nécessité de parfois
déchirer l'enveloppe ? D'ailleurs, on remarquera que tout prend
fin lorsque Paprika ravale tous les rêves, redessinant clairement la
frontière disparue et disparaissant du même coup. Chaque monde à
sa place et chacun peut de nouveau rêver et vivre en toute quiétude.