Après le succès des Monty Python la semaine dernière, ne manquez pas la dernière étape de notre cycle consacré à l'humour britannique : ce sera le jeudi 19 janvier, avec un film de Ken Loach : Looking for Eric. Avec Eric Cantona en guest star, dans son propre rôle, qui donne ses conseils cantoniens à un looser ordinaire... Pour en
savoir plus
sur nos prochaines projections, nous vous invitons à télécharger notre guide des séances ! Et pour résumer :
Rendez-vous le jeudi 19 janvier, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Looking for Eric
de Ken Loach
Et voilà le synopsis !
Il peut sembler paradoxal
de clore un cycle consacré à l'humour britannique par un film de
Ken Loach. C'est donc avec une certaine satisfaction que l'on se
propose cette semaine de mettre en avant la veine comique rarement
relevée dans la filmographie d'un cinéaste que l'on a tendance à
confiner aux sphères du réalisme social -même si la question du
réalisme traverse, il est vrai, toutes les œuvres de Loach et ce,
jusque dans Looking for Eric.
L'Esprit
de l'équipe et l'esprit d'Equipe
Looking for Eric est
avant tout le film d'une rencontre. Celle du chantre des
classes populaires anglaises et du « king » Cantona, la
superstar du football adulée par les supporters du Manchester
United, club dans lequel le sportif a effectué les plus belles
années de sa carrière. Rencontre étrange s'il en est, compte tenu
de la réticence du réalisateur anglais à employer des vedettes,
préférant les visages inconnus à ceux des stars dont les traits
trop facilement identifiables appartiennent déjà à d'autres
histoires. Ken Loach réserve un accueil tout spécial à Eric
Cantona : ce dernier jouera son propre rôle, mais loin de
l'hagiographie ou du biopic -genre très en vogue ces derniers temps,
Loach traite la présence de Cantona sur le mode du fantastique.
Eric, le colosse musculeux fait des apparitions -au sens littéral du
terme- dans la vie d'Eric, postier quinquagénaire dépressif en
pleine crise existentielle. Cantona n'existe que pour son homonyme
anglais, et ses apparitions sont raison du nombre de joints que son
admirateur est allé emprunter à l'un de ses beaux-fils pour se les
rouler face au poster de l'idole. Car Eric Bishop,
comme son nom l'indique (évêque en
anglais), voue un culte à la religion football dont le dieu
tout puissant proclame haut et fort son exctraction divine (cf la
plus célèbre réplique du film « I am not a man, I am
Cantona »).
L' hallucination du
postier anglais commence sur le plan sonore : à une
interrogation du Don Camillo de Manchester répond une autre question
qui semble provenir du poster taille réelle dont Eric a orné sa
chambre. L'image a en fait pris corps, et c'est dans un brutal
contre-champ que le fidèle reconnaît son dieu ; en regard de
l'image au mur, l'incarnation a eu lieu. Jeu de dédoublement donc,
faisant du miroir l'outil principal de re-connaissance et de
reconquête de soi : l'identification au grand Eric devient dès
lors une voie de rédemption, préparée par les exercices bouffons
de psychologie à la petite semaine auxquels s'essaient les amis
d'Eric pour l'aider à retrouver son équilibre.
Cependant, les
aphorismes et proverbes qui sont les modes d'expression privilégiés
du Cantona-mentor ne sont pas à prendre trop au sérieux :
c'est avec un sens aigu de l'auto-dérision que le footballeur
prodigue des conseils bilingues sans queue ni tête, s'apparentant
plus au burlesque nonsensique cher aux anglais qu'aux paroles
sibyllines d'un véritable prophète.
Le chemin d'Eric à la
recherche de lui-même -puisque c'est d'abord d'une réconciliation
avec soi-même dont il est question dans le titre du film- passe par
le dédoublement (en un autre Eric) en même temps que par
l'éradication de toutes les images qui saturent l'espace de vie de
la famille Bishop. Le premier geste d'Eric en rentrant chez lui est
d'éteindre toutes les télés ; plus tard, il les enlèvera
complètement au grand désespoir de ses beaux-fils. Quand Eric
semble enfin avoir recouvré sa santé mentale et rassemblé les fils
dispersés de sa vie, c'est une vidéo sur Youtube -autre
dédoublement donc- qui empêchera son rétablissement complet.
La
thérapie par le foot
Dans son court-métrage
pour Chacun son cinéma (film de commande de Gilles Jacob pour
le festival de Cannes), Ken Loach dressait un parallèle entre le
foot et le cinéma : ne réussissant à décider quel film voir,
un père et son fils choisissent au dernier moment d'aller assister à
un match. Une séance de cinéma et un match de football ont à peu
près la même durée : l'acte social qu'ils représentent sont
du même ordre. Pour qu'Eric se rétablisse complètement, il ne lui
faut pas seulement un entraîneur personnel, mais aussi une équipe
au sein de laquelle évoluer. Eric doit faire confiance, apprendre à
« faire la passe ».
Ken Loach articule
toujours l'individuel au collectif : c'est en recréant le lien
aux autres que la communauté peut exister et qu'un espoir est
possible. L'action finale, qui démultiplie la figure de Cantona
élargi la quête d'Eric à la communauté en même temps qu'elle lui
assure une place au sein de celle-ci. Cette expédition punitive,
parodiant les films de gangsters, affirme la solidarité et l'amitié
qui se noue à partir de l'expérience du football en retournant
contre un ennemi commun (un chef mafieux) les armes dont Eric avait
fait les frais auparavant -le pistolet à peinture, la vidéo sur
youtube...
C'est en dernière
analyse les liens familiaux que la communauté et l'esprit sportif
permettent de renouer : de totalement distanciés, les rapports
d'Eric avec son ex-femme, sa fille et ses beaux-fils se rétablissent.
L'acceptation du passé -les ridicules chaussures de daim bleu-, la
préparation du futur (la séance de photo comme affirmation des
liens familiaux) et la disparition du fantôme de Cantona viennent
confirmer la solidité que forme cette nouvelle communauté.
Avec
Looking for Eric,
Loach signe un film-mélange (à cheval entre la comédie, le film
noir et le drame social), et, contrairement à ses habitudes, nous
livre une œuvre optimiste : même si la noirceur n'est pas
complètement absente (dans toute la première partie et jusqu'au
finale libérateur), le maître anglais affirme l'existence de la
solidarité dans le monde moderne. Solidarité dont la possibilité
est rendue effective grâce au foot (merci Eric) et grâce au cinéma
(merci Mister Loach).
Mélodie