Attention !

Ce site n'est plus mis à jour !
Merci de vous rendre sur notre nouveau site :
http://www.cineclub.ens.fr

The Women de George Cukor (mardi 05 novembre 2013, 20h30)


Bande-annonce du film.

En plein cycle sur la représentations des femmes au cinéma, il nous semblait intéressant de montrer à quoi pouvait ressembler un film au casting entièrement féminim tourné en 1939 et de nous interroger sur l'évolution des représentations des femmes depuis. C'est également, malgré tout, l'occasion de découvrir un grand cinéaste de la période classique hollywoodienne.


Durée : 132 minutes.
Noir et Blanc.
Pays : Etats-Unis.
Année : 1939.
Avec : Norma Shearer, Joan Crawford, Mary Boland .

Rapide synopsis : Mary est mariée à Stephen Haines, un homme d'affaires new-yorkais. Fidèle à son époux et mère d'une fillette, elle est entourée d'"amies", dont Sylvia Fowler, la comtesse DeLave, et Miriam Aarons, qui savent quelque chose qu'elle ignore : son mari la trompe avec Crystal Allen, une vendeuse arriviste.

Si vous souhaitez être tenu-e-s au courant de nos prochaines séances, rejoignez notre liste de diffusion [cine-info] ou ajoutez-nous en amis sur Facebook.



Et pour résumer :

Rendez-vous le mardi 05 novembre 2013, 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm

pour voir et revoir
The Women
de George Cukor

Proposition d'analyse

A star is born

George Cukor (1899-1983) naît à New York. Il fait ses débuts à Broadway dans les années 1920 avant d’exercer divers métiers à Hollywood, pour finir réalisateur avec 56 films à son actif. Il se spécialise dans les films de comédie, dont 4 musicaux (A star is born, Le milliardaire, Les Girls et My Fair Lady, qui lui vaut l’Oscar du Meilleur Réalisateur en 1964. C’est lui qui fait débuter Katharine Hepburn en 1932 dans Héritage ; elle le suivra pour 9 autres de ses films. C’est un grand spécialiste de la comédie du remariage comme son chef-d’œuvre, Indiscrétions (1940), analysé en profondeur par Stanley Cavell dans son livre : À la recherche du bonheur - Hollywood et la comédie du remariage.

It’s raining men !

The Women prend sa source dans la pièce de théâtre de Clara Boothe Luce du même nom, qui se caractérisait par son absence totale d’hommes sur scène. Le film reprend ce principe avec un casting intégralement féminin, comptant non moins de 130 silhouettes (c’est-à-dire des figurantes ayant au moins une phrase de dialogue). Cette contrainte a été scrupuleusement appliquée jusque dans les moindres détails : on ne voit jamais un seul homme, ne serait-ce qu’en portrait, à l’exception d’une publicité au dos d’un magazine que Peggy lit chez Mary. L’absence masculine s’arrête là : The Women est vraisemblablement le film qui échoue le plus au test de Bechdel évoqué la semaine dernière. Le test, créé en 1985 et destiné à évaluer le sexisme au cinéma, consiste à se demander si, dans un film donné, deux femmes parlent entre elles d’autre chose que d’un homme. Sans même parler du film dans son intégralité, peu de scènes du film passeraient même le test, tant il y est question d’hommes ! Comme l’indique le sous-titre de l’affiche : « It’s all about men ! » … Le film est par conséquent une évocation des hommes via un discours féminin, lui-même à replacer dans le contexte d’un discours masculin, celui de Cukor.

Le scénario peint de nombreux personnages féminins différents en ayant recours à des archétypes marqués, comme le signalent les animaux du générique qui connotent des traits de personnalité : l’agneau et la biche pour l’innocence et la bonté (Peggy et Mary), le fauve pour accentuer l’aspect carnassier et sans pitié de Crystal, le renard pour la ruse de Miriam, le chat pour Sylvia (en anglais, « crêpage de chignon » se dit « catfight »). On note au passage que les femmes sont systématiquement présentées en fonction de leur mari : Mrs Stephen Haynes (Mary), Mrs Howard Fowler (Sylvia) etc. Tout le film est centré sur le parcours de Mary (sur un peu plus de deux ans) et les décisions qu’elle va prendre vis-à-vis de son mari. La trahison masculine initiale est bizarrement comme remplacée très vite par une trahison féminine. Tout se passe comme si Mary devait se libérer d’abord de ses propres amies davantage que de celui qui l’a trompée. Lisons le film à la lumière de l’article canonique de Laura Mulvey, « Visual pleasure and narrative cinema » (1975). D’après elle, le cinéma hollywoodien reflète une économie du regard patriarcale : la femme (et par suite l’actrice) est faite pour être regardée, et procurer un plaisir esthétique et érotique à celui qui la fixe. Le spectateur est mis dans la peau d’un homme, cet homme si absent au long du film (cf dernier plan du film où c’est très manifeste). Qu’il s’agisse de Stephen Haynes ou de George Cukor, le regard à partir duquel les femmes sont définies, de l’autre côté de la caméra, est toujours masculin. Le casting d’autant de stars (Norma Shearer, Joan Crawford, Joan Fontaine…) renforce cet effet : le désir scopophilique (plaisir de voir) marche à plein, et en même temps, la menace de la castration que ces femmes représentent pour un spectateur masculin est annihilée par le fait qu’elles sont complètement fétichisées, c’est-à-dire qu’elles sont placées hors de leur portée humaine, surévaluées. Le culte de la femme au cinéma n’est jamais l’effet d’un respect excessif : c’est une façon de la mettre à distance et l’objectiver plus efficacement.

Un pas de côté

Nombre d’éléments de The Women choquent aujourd’hui. En tant que jeune personne née dans les années 90, je ne peux qu’être frappée par l’aspect terriblement daté, le sexisme des répliques et des préoccupations que le film attribue aux femmes. Et ce d’autant plus que le titre prétend à une vérité générale à travers cet article défini si dangereux : « The Women », comme s’il ne s’agissait pas de certaines femmes, mais de toutes. Ce qui n’empêche pas qu’en tant qu’étudiante en cinéma et en sciences humaines, je ne puisse pas non plus m’arrêter à une condamnation trop facile et moins constructive, sans contextualisation. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de programmer le film tout en étant familiers des éléments machistes qui le parcourent (que dire du générique assimilant ce microcosme féminin à une jungle, métaphore rappelée constamment par l’évocation du vernis « jungle red » ?). Il nous semble crucial d’analyser l’œuvre en tenant compte de deux faits : 1- le film a été réalisé à une époque précise dont on ne saurait faire abstraction et dans un contexte particulier qu’il convient de resituer avant toute chose ; 2- l’idée que ce contexte historique, s’il est différent du nôtre, en reste suffisamment proche pour permettre une remise en perspective de nos propres travers actuels. Nous avions le même souci avec Les femmes du bus 678, avec la distance cette fois-ci spatiale : l’action se situant en Egypte, on ne saurait expliquer la situation égyptienne en prétendant que la situation en France est identique ; pourtant, voir l’Egypte permet de réfléchir efficacement sur ce qu’il se passe chez nous.

Un mot sur les conditions de production du film. Le réalisateur de The Women appartient au mouvement cinématographique du Woman’s Film, qui s’étend des années 1930 aux années 1960. Les Woman’s Films sont les premières œuvres à mettre en scène des personnages féminins et leurs préoccupations au centre de l’intrigue. Pour l’époque, le film de Cukor est donc une étrangeté. Après la sortie, la publicité de la MGM autour de Cukor reposa ainsi sur l’idée qu’il était un « metteur en scène de femmes ». Cette étiquette, liée dans les esprits à son homosexualité qu’il ne dissimulait pas, ne facilita pas la réception du film ni du réalisateur, moins apprécié à l’époque que d’autres cinéastes qui incorporaient encore bien moins les femmes dans des scénarii centrés sur les hommes. Si celles-ci sont vues aujourd’hui avec beaucoup de recul, il ne faut pas oublier que le simple fait de montrer (exclusivement !) des femmes, d’évoquer leur psychologie et de leur donner la parole avec un tel parti pris restait exceptionnel.

Cela vaut donc la peine de s'interroger sur la portée et la pertinence actuelle de certaines questions abordées dans le film :

- Avec quel cynisme et/ou quelle résignation analyse-t-on encore les hommes aujourd’hui ? Quelles généralités plaque-t-on sur « tous ces salauds » ? Récemment, une campagne de UN Women étudie les suggestions automatiques de Google lorsque l’on tape simplement « women should », « women shouldn’t » etc, et que le moteur de recherche tache de compléter tout seul la phrase. Lorsque l’on propose « men need », on tombe sur « men need to be needed » (« les hommes ont besoin de se sentir désirés ») et « men need to cheat » (« les hommes ont besoin de tromper leur compagne ». Dès lors, le discours de la mère de Mary, c’est-à-dire carrément la génération au-dessus de l’héroïne, semble bien moins anachronique qu’il n’y paraît.

- Par la suite, où se situe aujourd’hui le décalage entre les générations d’un point de vue féministe ?

- Dans cette farandole de personnages féminins typés et clichés, quels traits de caractère continue-t-on d’attribuer aux femmes et aux jeunes filles de nos jours ? (Sylvia = le bavardage et l’amour des potins (facebook se substituant au cadre du salon de manucure ?) ; Peggy = la douceur et la sensibilité plutôt que la raison ; Crystal = la mesquinerie ; la jalousie, l’amour de la mode et par une extension étrange, la superficialité, l’omniprésence de la vie sentimentale hétéronormée dans leur discours, etc).

-Daphné.