Bande-annonce du film.
Durée : 100 minutes.
Noir et Blanc.
Pays : URSS.
Année : 1967.
Avec : Iya Savvina, Alexandre Sourine, Lioubov Solokova.
Au rythme du quotidien, âpre et nonchalant, d'un Kolkhoze , un petit drame amoureux se noue autour de la blonde simplicité de la jeune Assia. Tourné avec une précision documentaire, le chef d'oeuvre d'Andrei
Kontchalovski est emblématique du cinéma du "dégel" : il fut néanmoins jugé trop réaliste, et censuré par les autorités soviétiques jusqu'en 1988.
Rapide synopsis : Assia, ouvriere agricole dans un kolkhoze, a deux amants. L'un l'aime et veut l'epouser, l'autre la brutalise et lui fait un enfant. Assia refuse de choisir entre ses deux pretendants. A travers ses aventures, Konchalovsky retrace egalement la vie d'un kolkhoz.
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Et pour résumer :
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour voir et revoir
Le Bonheur d'Assia
de Andrei Konchalovsky
Proposition d'analyse
LE REALISATEUR
Andrei Kontchalovski est né le 20 Aout 1937 à Moscou dans une famille d'intellectuels et d'artistes (son père Sergueï est écrivain). Son vrai nom est en effet Andrei Sergeyevich Mikhalkov mais il prend comme pseudonyme le nom de son grand-père maternel (le peintre Piotr Kontchalovski) pour se distinguer de son frère, Nikita Mikhalkov, célébrissime réalisateur d’Urga et Soleil Trompeur. C’est sa rencontre en 1960 avec Andreï Tarkovski qui détermine sa vocation cinématographique. Il co-écrit en effet avec lui les scénarios du Rouleau compresseur, de L'enfance d'Ivan et d’Andreï Roublev. Son premier long-métrage, Le premier maître (1965) est accueilli favorablement en U.R.S.S. et il est projeté dans de nombreux festivals internationaux.
CENSURE
Le bonheur d'Assia (1967), son deuxième film, fut quant à lui censuré par les autorités soviétiques. Sa peinture trop réaliste de la misère paysanne ne correspond pas à la vision officielle des kolkhozes : les kolkhoziens semblent trop insouciants. De plus, une scène d’accouchement sembla choquante, et l’évocation des camps staliniens peu opportune. Le film ressort néanmoins en 1988, en pleine Pérestroïka : il est alors partout acclamé, et reçoit de nombreux prix en Russie.
LE CINEMA « DU DEGEL »
Le choix de Kontchalovski de filmer sans triomphalisme la vie quotidienne d’un kolkhoze (à l’opposé de La Terre de Dovjenko, 1930) est emblématique d’une « nouvelle vague » russe, contemporaine de la « nouvelle vague » européenne. De 1953 à 1968, le cinéma soviétique connaît en effet, après la mort de Staline, son « dégel ». Les cinéastes choisissent alors de s’intéresser aux problèmes réels de la société, aux gens ordinaires (les jeunes, les femmes), avec leurs doutes, leurs joies et leurs tristesses, et non plus aux « héros du socialisme ». Ils privilégient une esthétique de la simplicité, pour dépeindre le quotidien : la caméra se fait discrète, le jeu des acteurs déterminant, et le montage moins démonstratif. Dans cette veine, on conseille l’interminable mais magnifique Porte d’Illitch / J’ai vingt ans de Marlen Khoutsiev, qui raconte les dilemmes de la jeunesse non par une histoire suivie, mais sous forme d’atmosphères et d’émotions retransmises à l’écran.La deuxième voie choisie par les cinéastes du « dégel » est celle d’une expression poétique de la réalité, qui s’appuie sur un travail recherché de la caméra. C’est cette veine qui a donné le film le plus célèbre de la « nouvelle vague » russe : Quand passent les cigognes (Летят журавли), 1957, de Kalatozov.Cette période coïncide aussi avec l’épanouissement des cinématographies nationales, et en particulier avec les premiers films de l’ukrainien Serguei Paradjanov, qui s’attachent à traduire à l’écran à la fois les histoires, l’esprit et les formes des traditions orales locales : à voir en particulier Les Chevaux de feu (Тени забытых предков), 1964.
UN KOLKHOZE !
Dans ce contexte de renouvellement cinématographique, la posture de Kontchalovski avec Le Bonheur d’Assia est néanmoins extrême. Il choisit de s’intéresser aux gens les plus ordinaires qui soient, les kolkhoziens (des alentours de Nijni-Novgorod), et ce sous un angle quasi-documentaire. On assiste – fait quasi-inédit dans la cinématographie russe – à la vie du kolkhoze dans sa simplicité, sa quotidienneté : le travail, les repas en plein air, le dortoir, les fêtes. Le Bonheur d’Assia se présente comme une tranche de vie, historiquement située. Des échos de l’actualité nous parviennent : on apprend par la radio le tremblement de terre de Tachkent et la venue du Général de Gaulle à Moscou (1966). Mais aussi des échos de l’histoire : les hommes racontent la guerre, l’un d’eux raconte son internement dans un camp stalinien puis son retour et les retrouvailles avec son épouse...
UN REALISME INTEMPOREL
Si Le Bonheur d’Assia est située historiquement, il n’a pas pour autant vieilli. Comme l’explique Kontchalovski : « Ce n'est pas une question de talent, mais de méthode. C'est dû à l'approche documentaire [...] Dès les essais, j'ai voulu faire le film avec les interprètes et il était impossible d'être fidèle au scénario. Aucun paysan ne pouvait dire le scénario. Chacun apportait ses idées, son langage à l'intérieur du mouvement même de l'histoire. Il n'y a que deux acteurs de métier, le camionneur et l'interprète d'Assia. Car, pour ce genre de tournage, il faut, ou bien de grands acteurs professionnels, ou bien des non-comédiens choisis avec soin. [...] Pour Assia, j'ai créé un monde avec des provocations, de l'alcool. » D’où cette impression d’authenticité, qui touche le spectateur de toutes les époques.
UN MELODRAME ?
C’est sur cet arrière-fond réaliste que se dessine une intrigue amoureuse vieille comme le monde : un triangle amoureux, une passion non partagée, une maternité heureuse. Le film ne bascule néanmoins jamais dans un mélodrame dont le kolkhoze ne serait que le décor-prétexte. Au contraire, l’intrigue amoureuse s’insère pleinement dans le quotidien paysan. Elle en fait partie. C’est peut-être pour cela que l’histoire d’Assia, belle et banale comme la vie, nous touche toujours autant.
LA SENSATION DE LA VIE
Car il nous semble que Kontchalovski est parvenu dans ce film à quelque chose de bien plus fort que le réalisme, et de bien plus beau que le naturalisme. Comme l’écrit Michel Ciment : « Le Bonheur d'Assia est une œuvre lyrique, rude, une évocation âpre et sensuelle de la vie d'un kolkhoze. ». Cette sensualité que Kontchalovski parvient en effet à nous retransmettre (bien avant Kechiche !), c’est la matérialité du réel et des corps, le bonheur ressenti de la vie. On sort du film avec empreinte dans les yeux, dans la mémoire et dans la peau, la sensation des champs de blé, de la voix des hommes, de leur corps au travail sur les machines, de l’humidité du dortoir, des bouilles des enfants, de l’émoi des jeunes gens – et surtout du visage blond d’Assia, rayonnant de boucles. Iya Savvinia, qui joua en 1959 le rôle-titre de La dame au petit chien de Josef Kheifitz, donne à l’héroïne Assia une naïveté juvénile, une belle fermeté de caractère et une grâce inoubliable. C’est elle, et tous ces anonymes du Kolkhoze, qui permettent à Marcel Martin, critique français spécialiste du cinéma soviétique d’après-guerre, d’écrire : « C'est la vie telle qu'elle est, sans fioritures sentimentales ni optimisme de commande. Le Bonheur d'Assia est un grand film, d'une beauté plastique à la fois simple et raffinée, une merveille de finesse et de tendresse [...] un film "vivant", exempt de tout "schématisme", "un langage spontané" [...] Le Bonheur d'Assia était et reste un chef-d'œuvre ». C’est en tout cas le film le plus cher à son réalisateur, après ses nombreuses réalisations hollywoodiennes...
MPB avec Kinoglaz