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The Yards, de James Gray (mercredi 10 octobre 2012)


Scène du film The Yards.

Enfin un film de pègre au ciné-club ! Ce grand classique du cinéma n'a pas cessé d'inspirer les cinéastes, chez les anciens (de Scorsese à Coppola) comme chez les jeunes réalisateurs contemporains. James Gray est de ceux-là, et nous livre un film de mafia glaçant et peu commun, The Yards (1999) que nous aurons le plaisir de vous présenter le mercredi 10 octobre, à 20h30 en salle Dussane.

A sa sortie de prison, Leo Handler (Marc Wahlberg) revient chez lui avec un seul but : rester dans le droit chemin. Il trouve du travail chez son oncle Franck (James Caan), patron de l'Electric Rail Corporation, qui règne sur le métro dans le Queens. Son ami de toujours, Willie (Joaquin Phoenix), en couple avec sa cousine Erica (Charlize Theron), l'initie aux méthodes de la société. Leo découvre la face cachée des florissantes opérations de son oncle. Témoin de chantage, corruption, sabotage et même meurtre, il est au centre d'une situation explosive : il détient un secret qui fait de lui la cible de la plus impitoyable famille de la ville... La sienne.

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Et pour résumer :

Rendez-vous le mercredi 10 octobre, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm

pour voir et revoir
The Yards
de James Gray

Etats-Unis, 1999, Couleurs, 115 min.
Réal. James Gray.
Scé. James Gray et Matt Reeves.
Mus. Howard Shore
Photo. Harris Savides
Mont. Jeffrey Ford
Int. Mark Wahlberg (Leo Handler), Joaquin Phoenix (Willie Guttierez), Charlize Theron (Erica Stoltz), James Caan (Frank Olchin), Ellen Burstyn (Val Handler), Faye Dunaway (Kitty Olchin).

Sur l'écran noir défilent les quelques titres du générique, en lettres minuscules, suivies de quelques lueurs. Les touches abstraites de lumière prennent peu à peu sens quand l'ensemble du décor émerge de l'obscurité totale : d'abord la pénombre angoissante d'un tunnel dont s'extirpe la caméra par un travelling arrière, puis la clarté d'un ciel froid et gris. C'est dit : The Yards est né du noir. La rigueur, la densité et l'économie de moyens de cette entrée en matière annoncent magistralement le deuxième film de James Gray qui avait déjà marqué les esprits avec Little Odessa (1994), l'oeuvre qui l'a révélé comme un jeune cinéaste de génie — il avait alors 24 ans. Six ans plus tard, Gray livre un film d'un classicisme éblouissant, à l'époque ignoré par le jury du Festival de Cannes. Un classicisme qui broie du noir : noirceur du film de genre ; noirceur des images qui travaillent la couleur et la composition comme autant de peintures animées ; noirceur des personnages qui réunissent brillament trois jeunes talents de l'époque (Mark Walhberg, Joaquim Phoenix, Charlize Theron) et trois acteurs essentiels d'Hollywood (James Caan, Ellen Burstyn, Faye Dunaway).

Dès sa sortie de prison, Leo Handler est accueilli à son domicile par une fête en son honneur : gâteaux, guirlandes et bannières annonçant « Welcome back Leo » sont au rendez-vous. Leo retrouve sa mère, figure centrale de son affection, sa cousine Erica — le trouble, toujours contenu, est déjà présent pendant ces retrouvailles — et son ami de toujours, Willie, qui fréquente désormais Erica. Mais l'heure n'est pas à la fête. Leo veut avant toute chose être un bon fils pour sa mère, lui fournir ce dont elle a besoin pour vivre et soigner son cœur fragile. A la recherche d'argent en quantité, Leo se tourne vers Frank, patriarche de la famille, propriétaire de la plus grosse entreprise ferroviaire de New York... et également parrain de la mafia des chemins de fer. C'est Willie qui va guider Leo au sein de cette petite pègre, en lui expliquant toutes les activités qui lui sont dévolues en tant que bras droit de Frank : corruption politique, sabotages... jusqu'à ce qu'un soir, une de leurs opérations dégénère.

Présences du cinéma

Beaucoup des codes et des références du film de mafia et du film noir n'échapperont pas aux spectateurs attentifs. En ce sens, The Yards est un film qui nous est familier dès le premier visionnage. Grand cinéphile, James Gray ne se laisse jamais aller à la facilité de simples citations, références ou clins d'oeil. Au contraire, il rend présent à l'écran toute une histoire du cinéma, ne serait-ce que par le casting du film. Pour mémoire : Ellen Burstyn a travaillé avec Minnelli, Bodganovich, Resnais ; elle est aussi la protagoniste de L'Exorciste de Friedkin et d'Alice n'est plus ici de Scorsese. Faye Dunaway, inoubliable Bonnie Parker dans Bonnie and Clyde d'Arthur Penn, a joué pour Preminger, De Sica, Kazan, Polanski, Lumet, Pollack, etc. Quant à James Caan, outre ses films avec Coppola, il a longtemps collaboré avec Howard Hawks. Bien sûr, par l'intermédiaire de James Caan, c'est toute la mythologie et l'esthétique du Parrain que James Gray s'amuse à reproduire pour mieux les ébranler. Car The Yards n'est nullement une réplique de l'oeuvre de Coppola : si certaines ambiances sont restituées, à l'image du bureau boisé de Sunny Corleone qui devient celui qu'occupe Frank Olchin, James Gray nous montre une mafia de petite taille, au bord de l'asphyxie, dont les valeurs d'honneur et de traditions périclitent. La scène du repas en est une formidable explication, comme une réponse aux scènes opulentes de banquet qui jalonnent la série du Godfather. Dans le salon de Frank, autour d'une table simplement dressée, les membres de la famille dégustent des plats à emporter chinois. Frank lui-même cherche à décourager Leo de s'engager aux côtés de Willie dans une activité illicite. Mais personne ne semble écouter, craindre ou respecter le viel homme qui fait office de parrain. Voilà pourquoi The Yards ne met pas en scène la Famille, mais bien la famille avec un f minuscule, très minuscule même. Le seul qui puisse rivaliser avec l'ambition de Frank et qui puisse prendre sa place n'est même pas un membre de la famille, mais un arriviste (Willie), d'origine espagnole, qui a renié ses liens d'honneur avec la communauté hispanique. Désormais paria pour l'entreprise rivale espagnole, Willie ne peut plus revenir en arrière et cherchera à imposer sa place au sein de la famille par tous les moyens. Cette préocuppation se transforme au cours du film en obsession. S'isolant de plus en plus, Willie tranchera les uns après les autres les liens qui devraient le rattacher à la famille : piété filiale, respect, amitié et même amour.

« The voluptuousness of death »

Le cinéma est enfin présent jusque dans la pellicule même, puisque The Yards a été filmé par de vieilles lentilles Panavision. Harris Savides, grand chef opérateur (il a notamment signé la photo de films de Fincher, Gus Van Sant, Sofia Coppola et Woody Allen) a ainsi joué sur cette faible profondeur de champ et les légers flous provoqués. James Gray, qui projetait à son équipe Rocco et ses frères et Sur les quais, accompagnait le scénario d'aquarelles pour décrire avec précision les ambiances et les éclairages des scènes. Ce travail pictural d'orfèvre se ressent particulièrement dans les gros plans où les visages sont à moitié dévorés par l'obscurité et les tons ocres, à la façon d'un clair-obscur. L'inspiration caravagiste, à la façon d'un Georges de La Tour, rend ainsi palpable à chaque scène de The Yards ce que Gray nomme « the voluptuousness of death ». La sous-exposition forcée et l'obscurité oppressante, presque omniprésentes, donnent aussi au film une de ses meilleures scènes. Lorsque Leo est recherché par un tueur qui s'introduit dans son appartement (très beaux plans filmés par le judas crasseux de sa porte), que l'un et l'autre évoluent dans le noir total, la tension et le suspens sont à leur comble. James Gray a beau s'inspirer des cinéastes, des artistes, de l'opéra (superbe bande originale d'Howard Shore), même de poètes (les titres en minuscules, en hommage à e. e. cummings), il ne sacrifie rien à l'efficacité de la mise en scène pour donner toute sa force à un thriller très maîtrisé.

« Our ability to choose our destiny is bogus »

En nous montrant aussi bien l'entreprise, la famille, les compromissions politiques et les agissements des hommes de main, The Yards nous donne réellement à voir la permanence d'un système inébranlable. S'il est évident que tous les films de mafia sont autant de bras d'honneur au rêve américain, James Gray étonne par la radicalité de son propos, de sa mise en scène et du rythme de son récit. Les plans larges, la lenteur des mouvements de caméra et une narration posée semblent crier l'impossibilité pour les personnages de changer quoi que ce soit par soi-même. Les personnages féminins sont clairement asujettis dans une famille où les mâles prédominent. Les femmes, comme Kitty ou Erica, sont d'abord pour Frank et Willie des appuis dans leur quête de puissance. Quant aux hommes de la famille, leurs efforts sont vains, tragiques et parfois méprisables. Seul Leo, qui semble animé par une intention véritablement vertueuse (servir sa mère), parvient à accomplir quelque chose dans la version du film sortie en salles. Mais la vision orginelle de James Gray est clairement exprimée dans le director's cut, où aucun personnage n'arrive à changer son destin, encore moins à s'en forger un — la scène de procès finale a été exigée par les producteurs. L'utilisation du Scope, en anamorphique (format qui permet de filmer en panoramique en utilisant un film 35mm standard.), donne aux plans ce sentiment que les personnages évoluent dans un environnement social et urbain qui les dépasse, dans lequel leurs mouvements se résument à des convulsions grotesques et futiles. Cette impuissance tragique des personnages est superbement résumée dans la scène qui oppose Willie et Leo au corps à corps. Le cadrage est large, la rue faiblement éclairée, le plan fixe. Les deux frères ennemis — mais ont-ils jamais été amis ? — s'affrontent dans un combat non chorégriaphé, où les corps s'entremêlent et se frappent péniblement, sans aucune majesté. Pas de plans rapprochés et nerveux où les coups de poings auraient leur importance. Une sirène de police résonne au loin : les deux se relèvent, blessés et le visage dans l'ombre, ensanglanté peut-être. L'echauffourée n'avait rien d'héroïque et surtout, n'a rien pu changer à l'ordre des choses qui se maintient, comme le cadre : calme, presque immobile, tragique.

Gabriel