C'est la nouvelle année, et le ciné-club prend ses bonnes résolutions avec un nouveau cycle consacré à l'humour britannique qui devrait permettre à tous de digérer le chocolat et de surmonter la rentrée ! Nous inaugurons le cycle avec Tamara Drewe, de Stephen Frears, adapté d'un roman graphique anglais, avant de laisser la place la semaine prochaine aux Monty Python, qui nous conteront la Vie de Brian. Pour en
savoir plus
sur nos prochaines projections, nous vous invitons à télécharger notre guide des séances ! Et pour résumer :
Rendez-vous le mercredi 04 janvier, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Tamara Drewe
de Stephen Frears
Tamara
Drewe n’est sûrement pas le meilleur film de Stephen Frears. Mais
c’est pour moi une gourmandise de cinéma, c’est-à-dire le vice
d’un amateur. Certes, l’ensemble est de facture classique,
presque datée, à l’image de ce village paumé dans la campagne
anglaise. Si vous veniez chercher le calme et la sérénité dans
cette contrée verte et reculée, vous le trouverez peut-être dans
les vieilles pierres de carte postale ; jamais dans les relations
qu’entretiennent ces femmes et ces hommes vivant à la ferme. En
revanche, vous y découvrirez de la jalousie, du mépris, de l’envie,
du désir, des pensées minables et surtout beaucoup de bêtise, la
chose du monde la mieux partagée. Il ne manquait plus que Tamara
Drewe pour mettre le feu aux poudres, et pour donner son nom à une
ravissante comédie de moeurs.
Tirade
du nez
Avant
que la demoiselle fasse son grand retour dans ce petit milieu, voici
ce qu’il faut savoir de ce village fictif. Un auteur de polars à
succès, Nicholas, tient une ferme où des écrivaillons cherchent
calme et inspiration pour leurs prochaines oeuvres, qu’il s’agisse
de romans policiers lesbiens ou d’une biographie universitaire de
Thomas Hardy. Il serait plus exact de dire que la ferme est tenue par
Beth, la femme de Nicholas, pendant que ce dernier travaille à son
prochain best-seller et gère un certain nombre de maîtresses.
Tamara arrive de Londres, où elle tente de devenir journaliste, pour
revendre une maison de famille. Immédiatement, tout le village bruit
des rumeurs et des commérages à propos de la jeune femme, en
particulier au sujet de son opération du nez... Nez qui pourtant
semble ravir les mâles du patelin, de son amour d’enfance aux
hommes (bien) plus âgés. C’est parti pour un grand bal qui voit
se déchaîner les tensions sexuelles et les abus de pouvoir ou de
confiance. Une fois que Tamara a mis le pied dans ce nid de guêpes,
il lui sera difficile de s’en dégager.
Arsenal
comique
Frears
s’inspire du roman graphique de Posy Simmonds, qui est lui-même
une libre adaptation du roman de Thomas Hardy1,
Far from the Madding Crow. De ce matériau littéraire, Frears tire
une galerie de portraits, parfois portraits crachés de types
comiques : le romancier qui court les jupons ; les deux
adolescentes qui s’ennuient à mourir dans un bled anglais et se
pâment devant leur idole, une rock star suffisante et colérique ;
l’universitaire goinfre et subtil comme une blague de
Schwarzenegger. Ces personnages sont autant d’ingrédients qui font
du film une satire de la classe moyenne britannique et une comédie
efficace, très dialoguée, mais qui réserve bon nombre de
situations ridicules ou incongrues. Du trait d’esprit aux
situations embarrassantes, Frears a recours à tout l’arsenal
comique pour parvenir à ses fins, le tout avec une classe que, dans
un moment de faiblesse, je me permets d’appeler « britannique ».
« England’s
green and pleasant Land » ?
Les
premiers plans sont dignes de « La petite maison dans la
prairie », et toute l’ironie de Frears est déjà présente,
dans la mise en scène du beau paysan qui coupe son bois au soleil
levant. Là-dessus, la musique narquoise2
se fait entendre et l’air de rien, tout se met en place pour dans
cette comédie à l’humour noir. J’avais envie de dire « une
comédie endiablée », mais il faut reconnaître que Frears
prend son temps (certains diront « trop de temps ») pour
filmer la lente destruction de cet univers clos. C’est une mort par
asphyxie, tant les actions des uns et les aspirations des autres sont
mesquines et avant tout risibles. La campagne anglaise, ou plutôt
certains habitants qui viennent y chercher ce qu’on espère
d’ordinaire y trouver, sont montrés sous leurs coutures les moins
flatteuses. L’ironie de Frears est dévastatrice, mais le
réalisateur ne se permet aucun jugement sans appel. Les personnages
incarnent un type comique ; ils ne sont pas de simples caricatures
offertes aux moqueries de la salle. Ils ont une vie intérieure, des
colères, ils connaissent parfois l’envie d’échapper à leur
propre médiocrité et certains élans de grandeur.
Les
règles du jeu
Le
film a beau mettre en scène des clichés, il ne triche pas non plus
avec le spectateur. Frears n’essaie pas de « faire tomber les
masques » au fur et à mesure de l’intrigue, tant
l’hypocrisie est flagrante dès le départ, tant pour l’audience
que pour les personnages en présence. Tout est affaire de jeu entre
les personnages, à l’image des deux ados qui manipulent les
adultes, simplement parce qu’il faut bien passer le temps. Si tout
est traité au moins avec humour, sinon avec dérision, une question
inquiétante reste là, sous les dehors de légèreté : ce jeu
malsain n’a-t-il aucune limite ? En guise de réponse, la
dernière partie du film réserve des scènes d’autant moins
faciles à digérer qu’elles ne sont pas enrobées de plaisanteries
sucrées. C’est en cela que Frears s’illustre dans cette comédie
de moeurs, en quittant quelques instants la frivolité pour laisser
toute la place à cette saveur douce amère, et sans avoir non plus
la prétention de faire la leçon. En fin de partie, tous les joueurs
sont perdants, certains plus que d’autres. En lieu et place de
gagnants, quelques rescapés s’en tirent avec un nez ou un égo
cassé. Ils vont finalement se sortir du micmac dont ils n’arrivaient
pas à s’extirper et participent gaiement au « happy end »
livré d’office avec le genre — j’oubliais : ils sont
sauvés par l’amour vrai.
Le
montage reste sans surprises, fondé sur le rythme tranquille des
quatre saisons et de quelques flashbacks qui reviennent sur les
histoires plus ou moins sordides du temps où Tamara Drewe avait un
gros nez. L’ambiance graphique n’est sûrement pas celle que
Simmonds dessine dans son roman, elle est en tout cas moins stylisée
et cherche davantage à restituer le côté vieillot, voire ringard,
du village et de ses manigances. Il n’en reste pas moins que sous
cette apparence paisible, ce conformisme de carte postale, Frears
cultive une irrévérence et une ironie qui font tout le charme du
film. C’est une délicieuse gourmandise qui ne se refuse pas,
surtout en ce début d’année !
Gabriel
1 Ce
même Thomas Hardy auquel l'universitaire veut consacrer une
biographie.
2 composée
par Alexandre Desplat, qui fait encore une fois du très bon
travail.