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Tamara Drewe, de Stephen Frears (mercredi 4 janvier 2012)


 
Trailer - Tamara Drewe from Tour de Force on Vimeo.

C'est la nouvelle année, et le ciné-club prend ses bonnes résolutions avec un nouveau cycle consacré à l'humour britannique qui devrait permettre à tous de digérer le chocolat et de surmonter la rentrée !  Nous inaugurons le cycle avec Tamara Drewe, de Stephen Frears, adapté d'un roman graphique anglais, avant de laisser la place la semaine prochaine aux Monty Python, qui nous conteront la Vie de Brian. Pour en savoir plus sur nos prochaines projections, nous vous invitons à télécharger notre guide des séances ! Et pour résumer :

Rendez-vous le mercredi 04 janvier, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Tamara Drewe
de Stephen Frears


Tamara Drewe de Stephen Frears au ciné-club de l'ENS



Tamara Drewe n’est sûrement pas le meilleur film de Stephen Frears. Mais c’est pour moi une gourmandise de cinéma, c’est-à-dire le vice d’un amateur. Certes, l’ensemble est de facture classique, presque datée, à l’image de ce village paumé dans la campagne anglaise. Si vous veniez chercher le calme et la sérénité dans cette contrée verte et reculée, vous le trouverez peut-être dans les vieilles pierres de carte postale ; jamais dans les relations qu’entretiennent ces femmes et ces hommes vivant à la ferme. En revanche, vous y découvrirez de la jalousie, du mépris, de l’envie, du désir, des pensées minables et surtout beaucoup de bêtise, la chose du monde la mieux partagée. Il ne manquait plus que Tamara Drewe pour mettre le feu aux poudres, et pour donner son nom à une ravissante comédie de moeurs.

Tirade du nez

Avant que la demoiselle fasse son grand retour dans ce petit milieu, voici ce qu’il faut savoir de ce village fictif. Un auteur de polars à succès, Nicholas, tient une ferme où des écrivaillons cherchent calme et inspiration pour leurs prochaines oeuvres, qu’il s’agisse de romans policiers lesbiens ou d’une biographie universitaire de Thomas Hardy. Il serait plus exact de dire que la ferme est tenue par Beth, la femme de Nicholas, pendant que ce dernier travaille à son prochain best-seller et gère un certain nombre de maîtresses. Tamara arrive de Londres, où elle tente de devenir journaliste, pour revendre une maison de famille. Immédiatement, tout le village bruit des rumeurs et des commérages à propos de la jeune femme, en particulier au sujet de son opération du nez... Nez qui pourtant semble ravir les mâles du patelin, de son amour d’enfance aux hommes (bien) plus âgés. C’est parti pour un grand bal qui voit se déchaîner les tensions sexuelles et les abus de pouvoir ou de confiance. Une fois que Tamara a mis le pied dans ce nid de guêpes, il lui sera difficile de s’en dégager.

 

Arsenal comique

Frears s’inspire du roman graphique de Posy Simmonds, qui est lui-même une libre adaptation du roman de Thomas Hardy1, Far from the Madding Crow. De ce matériau littéraire, Frears tire une galerie de portraits, parfois portraits crachés de types comiques : le romancier qui court les jupons ; les deux adolescentes qui s’ennuient à mourir dans un bled anglais et se pâment devant leur idole, une rock star suffisante et colérique ; l’universitaire goinfre et subtil comme une blague de Schwarzenegger. Ces personnages sont autant d’ingrédients qui font du film une satire de la classe moyenne britannique et une comédie efficace, très dialoguée, mais qui réserve bon nombre de situations ridicules ou incongrues. Du trait d’esprit aux situations embarrassantes, Frears a recours à tout l’arsenal comique pour parvenir à ses fins, le tout avec une classe que, dans un moment de faiblesse, je me permets d’appeler « britannique ».

« England’s green and pleasant Land » ?

Les premiers plans sont dignes de « La petite maison dans la prairie », et toute l’ironie de Frears est déjà présente, dans la mise en scène du beau paysan qui coupe son bois au soleil levant. Là-dessus, la musique narquoise2 se fait entendre et l’air de rien, tout se met en place pour dans cette comédie à l’humour noir. J’avais envie de dire « une comédie endiablée », mais il faut reconnaître que Frears prend son temps (certains diront « trop de temps ») pour filmer la lente destruction de cet univers clos. C’est une mort par asphyxie, tant les actions des uns et les aspirations des autres sont mesquines et avant tout risibles. La campagne anglaise, ou plutôt certains habitants qui viennent y chercher ce qu’on espère d’ordinaire y trouver, sont montrés sous leurs coutures les moins flatteuses. L’ironie de Frears est dévastatrice, mais le réalisateur ne se permet aucun jugement sans appel. Les personnages incarnent un type comique ; ils ne sont pas de simples caricatures offertes aux moqueries de la salle. Ils ont une vie intérieure, des colères, ils connaissent parfois l’envie d’échapper à leur propre médiocrité et certains élans de grandeur.

Les règles du jeu

Le film a beau mettre en scène des clichés, il ne triche pas non plus avec le spectateur. Frears n’essaie pas de « faire tomber les masques » au fur et à mesure de l’intrigue, tant l’hypocrisie est flagrante dès le départ, tant pour l’audience que pour les personnages en présence. Tout est affaire de jeu entre les personnages, à l’image des deux ados qui manipulent les adultes, simplement parce qu’il faut bien passer le temps. Si tout est traité au moins avec humour, sinon avec dérision, une question inquiétante reste là, sous les dehors de légèreté : ce jeu malsain n’a-t-il aucune limite ? En guise de réponse, la dernière partie du film réserve des scènes d’autant moins faciles à digérer qu’elles ne sont pas enrobées de plaisanteries sucrées. C’est en cela que Frears s’illustre dans cette comédie de moeurs, en quittant quelques instants la frivolité pour laisser toute la place à cette saveur douce amère, et sans avoir non plus la prétention de faire la leçon. En fin de partie, tous les joueurs sont perdants, certains plus que d’autres. En lieu et place de gagnants, quelques rescapés s’en tirent avec un nez ou un égo cassé. Ils vont finalement se sortir du micmac dont ils n’arrivaient pas à s’extirper et participent gaiement au « happy end » livré d’office avec le genre — j’oubliais : ils sont sauvés par l’amour vrai.

Le montage reste sans surprises, fondé sur le rythme tranquille des quatre saisons et de quelques flashbacks qui reviennent sur les histoires plus ou moins sordides du temps où Tamara Drewe avait un gros nez. L’ambiance graphique n’est sûrement pas celle que Simmonds dessine dans son roman, elle est en tout cas moins stylisée et cherche davantage à restituer le côté vieillot, voire ringard, du village et de ses manigances. Il n’en reste pas moins que sous cette apparence paisible, ce conformisme de carte postale, Frears cultive une irrévérence et une ironie qui font tout le charme du film. C’est une délicieuse gourmandise qui ne se refuse pas, surtout en ce début d’année !

Gabriel

1 Ce même Thomas Hardy auquel l'universitaire veut consacrer une biographie.
2 composée par Alexandre Desplat, qui fait encore une fois du très bon travail.