Rendez-vous le mercredi 30 novembre, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
pour
Europa, de Lars Von Trier
En compagnie de l'acteur Jean-Marc Barr
Mercredi 30 novembre, nous terminons le cycle sur le "cinéma du rail" avec un superbe film de Lars Von Trier, Europa, et en présence de l'acteur principal Jean-Marc Barr — qui a également joué dans Le grand bleu, Breaking the waves.
La projection sera suivie d'une discussion avec Jean-Marc Barr. Pour
plus de renseignements sur les séances à venir, n'hésitez pas à
consulter notre tout nouveau guide des séances.
Voici le synopsis détaillé d'Europa, rédigé par Virginie !
« Deeper into Europa »
En
octobre 1945, Leopold Kessler, jeune Américain d'origine allemande,
part pour l'Allemagne. Il veut contribuer à la reconstruction du
Vieux Continent ; son oncle, employé à la compagnie
ferroviaire Zentropa, le prend en charge et le prépare au métier de
contrôleur des wagons-lits. Depuis le train qui sillonne
l’Allemagne, le jeune homme découvre un pays déchiré et
détruit ; à mesure que l’express s’enfonce « still
deeper into Europa », il le porte à la
rencontre de l’amour, de ses propres contradictions et de son
destin.
Monde
irréel et cauchemar expressionniste
Sur
les pas de Leopold, le spectateur pénètre dans un monde irréel,
fantasmagorique et angoissant, celui d’une Europe qui se désagrège
dans le chaos qui suit la chute du régime nazi et l’arrivée de
l’armée américaine. Curieusement, si le film a pour titre Europa,
c’est en réalité de l’Allemagne qu’il s’agit, dans laquelle
le spectateur plonge pour ne jamais la quitter jusqu’à la fin du
film. Cette Allemagne est le lieu de toutes les contradictions et de
tous les déchirements, à l’échelle du pays d’abord :
dévasté, il n’offre plus qu’un paysage de ruines grises, un
décor fantastique dont Leopold contemple le défilement de ville en
ville derrière la vitre du train ; les maisons rasées, les
églises éventrées, les montagnes de gravats offrent un spectacle
tour à tour effrayant et nimbé d’une beauté étrange, mais
toujours irréel et oppressant. Au sein de ce pays où le conflit
semble fini aux yeux des Américains, une guerre souterraine continue
entre la résistance nazie et les armées étrangères. Mais ce
conflit n’est que le reflet des contradictions intérieures des
hommes, et le déchirement se continue au cœur même de chaque
individu. Dans Europa,
tout le monde est à l’image du noir et blanc de Lars Von Trier :
ni noir ni blanc, mais gris. Personne n’est foncièrement coupable
ou innocent, pro-nazi ou pro-américain, mais subitement, tout le
monde doit choisir son camp ; celui qui ne le fait pas est
condamné, plus vite encore que les autres.
Lars Von
Trier crée pour ce monde de cauchemar une image exceptionnelle,
d’une incroyable recherche technique (outre le prix du jury, Europa
lui vaut à Cannes le Grand Prix Technique). Mêlant le noir et blanc
à de brusques assauts de couleur, il recourt largement à la
transparence, un procédé qui lui permet de créer des effets de
surimpression fantasmagorique avec différentes grosseurs de plan et
de mettre en relief un seul objet en couleur sur un fond de noir et
blanc. Avec cette image évoquant l’expressionnisme allemand, Lars
Von Trier s’inscrit pleinement dans la tradition de films tels que
Le Cabinet du Docteur Caligari ou
M. Le Maudit.
La
symbolique du train
Ce
voyage vers la guerre, vers l’opacité de l’humain et vers son
propre destin, c’est au moyen du train que Leopold Kessler peut
l’entreprendre. D’abord réel de Berlin à Francfort, de Brême à
Munich, le voyage devient intérieur, métaphorique. Le train dans
Europa est d’abord
le moyen de se transporter d’un lieu à l’autre, de se déplacer
de ville en ville pour montrer tous les aspects de ce Vieux Continent
détruit. La marche du train qui avance dans la nuit, c’est bien
sûr celle de l’histoire, le symbole du destin de l’Europe
d’après-guerre, le triste rappel des trains de déportés. Mais
c’est aussi une métaphore de l’intériorité et de la
conscience du personnage : toutes les séquences décisives de
la vie de Leopold Kessler se déroulent dans ce train ; c’est
dans ce train qu’il devra lui-même faire des choix, et dans ce
train encore que se cristallisent leurs conséquences. Le processus
de maturation du personnage s’accompagne tout au long du film d’une
prise de pouvoir dans le train. Leopold est finalement le seul maître
de la machine lancée à toute allure : bien qu’il ne soit pas
le conducteur du train, lui seul peut décider de le laisser suivre
les rails ou de l’en faire dévier, de le laisser poursuivre ou
d’actionner le frein.
Le
pouvoir du cinéma
Mais
l’express qui emporte le spectateur dès le premier plan du film
métaphorise avant tout l’entrée dans la fiction, dans cet autre
monde qu’est le film lui-même. Car qu’est-ce en vérité
qu’ « Europa » ? Le mot employé par la voix
hypnotique de Max von Sydow ne désigne pas exactement l’Europe,
contrairement à ce que laisse penser le sous-titrage français. La
voix s’exprime en anglais ; elle devrait donc logiquement dire
Europe. Europa
est le mot allemand, le mot danois également, pour désigner
l’Europe, mais il est prononcé ici naturellement, comme un mot
anglais. « Europa » désigne donc peut-être avant tout
l’espace ouvert par le film ; celui d’une vision
particulière de l’Europe bien sûr, mais surtout un monde irréel
et expressionniste situé à la rencontre de deux dimensions :
celle du récit, où évoluent les personnages, et celle de la
conscience du protagoniste, dirigée par une voix mystérieuse qui
n’est pas la sienne, et scrutée par ses propres yeux en gros plan.
Il
n’y a pas d’idéologie dans Europa :
si Lars Von Trier dénonce clairement la barbarie nazie et fait
lui-même une brève apparition dans la peau d’un Juif vilement
instrumentalisé, il ne s’agit pas de porter un jugement sur les
personnages ; le propos du film est avant tout la tragédie du
choix humain. Il faut faire un choix, il faut s’engager dans le
combat de l’existence, mais il n’y a pas de bon choix, et tout ne
peut se résoudre que dans l’anéantissement final, dans le repos
d’un train au fond d’une rivière. Dès lors, la seule chose
certaine est le pouvoir irrésistible de la voix de Max von Sydow, le
pouvoir fascinant d’Europa,
c’est-à-dire du film lui-même sur le spectateur envoûté.
Virginie