Ca y est, voici venu ce moment tant attendu : le ciné-club de l'ENS fait sa rentrée ! Rendez-vous le mercredi 14 septembre à 20h30 en salle Dussane pour la projection en 35 mm de Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich. Le tarif reste de 4 euros, 3 euros pour les membres du COF ; nous proposons aussi des cartes de 10 entrées pour 30 euros, non nominatives, utilisables quand vous le souhaitez et valables à vie. Et n'oubliez pas : le ciné-club est ouvert à tous, il n'y a aucune obligation d'appartenir à l'école pour assister aux projections. Vous pouvez donc nous amener tous vos amis, vos parents et votre mémé, ils seront les bienvenus !
A noter que, face à l'offre alléchante proposée le mardi soir par les cinémas du Quartier Latin, nous avons déplacé la séance hebdomadaire du mardi au mercredi.
Vous pourrez nous retrouver dans la Cour aux Ernests lors de la présentation des clubs : ce sera l'occasion de vous inscrire sur notre mailing list pour recevoir des informations sur le ciné-club tout au long de l'année, ou de rejoindre notre équipe si vous souhaitez pénétrer le mystère de la cabine de projection...
A noter que, face à l'offre alléchante proposée le mardi soir par les cinémas du Quartier Latin, nous avons déplacé la séance hebdomadaire du mardi au mercredi.
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A bientôt !
Mélodie et Virginie
La star voit ressusciter, se détacher d’elle et se déployer le double archaïque : son image d’écran, sa propre image, omniprésente, envoûtante, rayonnante. Comme ses admirateurs, la star est subjuguée par cette image en surimpression sur sa personne réelle : comme eux, elle se demande si elle est bien identique à son double d’écran.*
Les deux sœurs Hudson ont connu tour à tour leur heure de gloire : Jane a triomphé lorsqu’elle n’était encore que « Baby Jane », une Shirley Temple avant la lettre, coqueluche des familles bourgeoises et bien pensantes qui accourent massivement à ses numéros chantés et dansés ; Blanche acquiert dix-huit ans plus tard une renommée de vedette du grand écran, éclipsant les succès de sa sœur. Au sommet de sa carrière, Blanche perd l’usage de ses jambes à la suite d’un mystérieux accident de voiture et dépend désormais de Jane, jalouse de son triomphe et aigrie par le manque de reconnaissance.
Sous le signe des gémeaux
Dans la cuisine trône un calendrier astrologique. Le premier mot de Jane adulte, « gémeaux », prononcé d’une voix aigre et concentrée, renvoie à cette ascendance stellaire qui plane comme une malédiction sur les deux sœurs, enfermées dans une relation de dépendance et de haine.
Qu’est-il arrivé à Baby Jane traite de la gémellité au sens large du terme : à la fois complémentarité (donc antagonisme) et ressemblance. Tout semble opposer Jane et Blanche : d’un côté la sœur/bourreau qui circule librement dans l’espace clos de la maison et qui détient le pouvoir d’établir ou de refuser le contact avec l’extérieur. De l’autre, la sœur/victime, cloîtrée dans l’espace carcéral de la chambre à l’étage –que son infirmité ne peut lui permettre de quitter. Une relation disproportionnée donc, qui va se dégradant au fur et à mesure que le film avance. Jane rompt progressivement tous les liens qui rattachent encore sa sœur au monde extérieur : Blanche ne reçoit plus son courrier, ne peut accéder au téléphone, ses adjuvants sont petit à petit neutralisés –la femme de ménage et les voisines. Mais la séquestration de l’une (gémellité oblige) finit par se retourner contre l’autre. Plus la terrible Jane torture sa sœur et vampirise son identité (sa voix, sa signature), plus elle est elle-même contrainte au secret et à la claustration. Cette relation de rivalité faite de haine, de rancune et de frustration oppose en même temps qu’elle unit les deux sœurs : c’est en cherchant à se débarrasser de l’innocente Blanche que Jane s’auto-condamne. Leurs destinées, jumelles, sont indissociables : le lien qui associe les deux sœurs malades se traduit matériellement par deux éléments qui jouent chacun un rôle important. Pour Jane, il s’agit de l’escalier qui lui permet de faire irruption quand elle le souhaite dans l’espace de Blanche. Cette dernière en revanche peut interrompre quand elle le veut les activités de son bourreau en appuyant sur la sonnette. Chacune peut s’introduire dans l’espace de l’autre –que ce soit physiquement ou sur le plan sonore, et possède un moyen de rappeler à tout moment qu’elle dispose d’un avantage dont l’autre est dépourvue. La spirale de violence et d’horreur dans laquelle les entraîne cette relation gémellaire et monstrueuse où les forces s’équivalent ne peut aboutir qu’à l’anéantissement des deux partis, à la neutralisation de l’une par l’autre.
Division diabolique.
Tout fonctionne par deux : deux sœurs, deux gloires, deux voisines, deux amis (la femme de ménage et le pianiste raté), deux policiers, deux étages… Mais la véritable malédiction ne provient pas tant de ces paires que de la réduplication constante de chaque élément.
L’image cinématographique chez Aldrich est un double trompeur qui fait prendre la copie pour l’original, l’illusion pour la réalité. Il semble d’abord que c’est Jane qui ne sait plus faire la part entre son double scénique, la Baby Jane d’autrefois, et la vieille femme acariâtre qu’elle est devenue. Présent et passé se confondent : ses attitudes, ses mimiques, ses actes sont encore ceux de l’enfant gâtée qui ramenait l’argent à la maison. Son effrayante prise de conscience devant le miroir du salon alors qu’elle reprend ses anciens succès sous les yeux sans vie de la précieuse poupée met Jane en présence de son ancien double (la Baby Jane inanimée) et son image présente que reflète le miroir et qu’éclaire crûment la lampe : un visage vieilli, flétri, enlaidi. Le contraste entre ce masque grimaçant et la gaminerie des poses terrifie non seulement le spectateur mais le personnage, devenu dans un moment de lucidité spectateur de lui-même. Face à ce double monstrueux, Jane se cache les yeux, tout comme elle se bouchera les oreilles quand Blanche tentera de lui rappeler l’événement traumatique qui a resserré leur lien d’interdépendance. Alors que l’enfermement de Blanche est spatial, celui de Jane est d’abord temporel : elle finit par se cloîtrer dans son enfance dorée, son propre âge d’or : celui de sa gloire et de ses pauvres succès.
Cependant, Jane n’est pas la seule à être piégée par son double trompeur. Plus subtilement que chez sa sœur, l’orgueil de la douce Blanche est aussi présent à l’écran dès les premiers plans. C’est le visage de ses vingt ans qui apparaît sur le tableau suspendu derrière elle. Le visage de Blanche vieillissante, même s’il n’est pas aussi marqué ni aussi stupéfiant de laideur que celui de sa sœur, n’en reste pas moins entouré et hanté par ses doubles de jeunesse. Il est en effet pris en étau entre celui que le poste de télévision diffuse et la peinture sur le mur. Jane ne s’y trompe pas, qui lui lance en entrant : « enjoying yourself ?» : c’est bien elle-même que Blanche admire, et non l’œuvre retransmise. La seule critique négative que Blanche adresse à son poste de télévision concerne la durée d’un plan. Il n’est pas assez long : c’est évidemment un gros-plan, c’est-à-dire le plan qui consacre les stars à Hollywood. Son visage apparaît trop peu à son goût, trop peu pour que soit satisfait le désir narcissique d’auto-contemplation qu’instaure le star-system.
Chaque sœur se dédouble donc, et cherche dans les yeux de son entourage une identité aussi avantageuse que celle que leur tendent les miroirs déformants et flatteurs d’Hollywood. L’opposition n’est pas tant entre les deux sœurs qu’entre les doubles dans lesquelles elles se complaisent : enfermées dans un corps qu’elle ne reconnaissent plus et incapables de ressembler au modèle idéal, figé et fixé dans une autre temporalité, les sœurs Hudson sont des doubles grotesques d’elles-même, des monstres engendrés par le système hollywoodien.
Dévaluée par son double, fantôme de son fantôme, la star ne peut fuir son propre vide qu’en se divertissant, et ne peut se divertir qu’en imitant son double, en imitant sa vie de cinéma.*
* Edgard Morin, Les Stars, Galilée, 1984
Mélodie