Rendez-vous le mercredi 20 octobre 2011, 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
L'esprit de la ruche
de Victor Erice
Sorti en 1973, dans les derniers jours de la dictature du Général Franco, L’Esprit de la ruche s’est vite imposé en tant que chef d’œuvre du cinéma espagnol. Pourtant, plusieurs des artistes doués ayant participé au premier long métrage de Victor Erice, une exploration atmosphérique de l’expérience d’un enfant dans un village maussade à l’époque de la guerre civile, ont rencontré des malheurs depuis. Erice, considéré comme l’un des premiers auteurs espagnols, n’a pour autant achevé que deux films après celui-ci ; l’œuvre du grand directeur de la photographie Luís Cuadrado a été tragiquement abrégée par sa cécité ; récemment, le réalisateur a révélé que l’actrice de 6 ans, Ana Torrent, reste hantée par son rôle iconique à ce jour. Sans doute, peu de films font si forte impression sur leurs créateurs ou spectateurs.
Comme beaucoup de régimes totalitaires, le franquisme tentait d’employer le cinéma pour améliorer son image à l’étranger et pour fabriquer une liberté d’ expression absente. En exportant certains films de « qualité », le régime visait aussi à augmenter la réputation du cinéma national. L’Esprit de la ruche se situe ainsi parmi les films expérimentaux de l’époque portant une dimension discrète d’opposition, mais non pas pour autant un regard clairement de gauche.
Les motivations ambigües des personnages et les vraisemblables incohérences de l’intrigue font également partie de cette esthétique faisant appel à l’allégorie et à la fantaisie. Ces procédés, que le spectateur moderne trouve enchanteurs, s’employaient à l’époque comme une forme de critique indirecte : c’est alors un archétype des films d’auteurs de notre temps silencieusement critiques d’un gouvernement national oppressif.
L’Esprit de la ruche se distingue plutôt par ses références au genre d’horreur. L’intrigue commence avec deux enfants, Ana et sa sœur Isabel, regardant Frankenstein de James Whale dans une salle de cinéma improvisée dans leur village isolé ; obsédée par un esprit qui habiterait tout près selon sa sœur, Ana décide un soir de le chercher, avec des conséquences presque tragiques. En effet, Erice et son coscénariste Ángel Fernández Santos ont basé le scénario sur leurs souvenirs personnels, ayant pour but de recréer les leçons d’anatomie de l’école, la découverte de champignons toxiques, les jeux macabres de l’enfance. Ce n’est pas par hasard que l’action se tient en 1940, l’année de naissance du réalisateur.
Erice arrive à tout transmettre avec une grande économie. Le dialogue laconique laisse tout au tournage et aux images : la ruche inondante, le cinéma désolé, la chambre sombre où la mère écrit ses lettres à un inconnu aimé, les gros plans des croisillons hexagonaux de la fenêtre lumineuse. Moins évidente mais aussi intéressante est la bande son du film. Les chuchotements des enfants et les musiques originales, notamment une mélodie de flûte lancinante, créent une ambiance captivante qui fait de L’Esprit de la ruche une expérience sensible riche et marquante, dépassant largement son cadre culturel.
Kamron