Premier coup d’éclat « Tranchant et opaque, Badlands reste l’un des premiers films les plus fulgurants de ces deux dernières décennies et l’un des rares qui ne doive rien à un genre, qui s’inspire plus d’une culture que du cinéma antérieur, l’un des plus contrôlés dans son écriture, son cadre, sa photographie, sa bande sonore : la musique, mais aussi les voix, les sons, les accents, le mixage [1] . »
Dans la droite ligné de Citizen Kane (1941), Le Point de non-retour (Point Blank, 1967), ou Portrait d’une enfant déchue (Puzzle of a Downfall Child, 1970), Badlands (La Ballade sauvage, 1974), le premier long-métrage du cinéaste américain Terrence Malick, fait partie de ces quelques premiers films qui semblent sortis de nulle part tant ils sont maîtrisés, inventifs et originaux. D’ailleurs, tout comme Orson Welles, Jerry Schatzberg ou John Boorman, les auteurs respectifs des trois films cités plus haut, Malick partage un parcours qui ne le prédestinait pas au cinéma. On sait que Welles était acteur et metteur en scène de théâtre, puis homme de radio ; quant à Schatzberg et Boorman, le premier était photographe de mode et le second réalisait des documentaires pour la télévision anglaise. Malick, lui, fils d’un dirigeant de compagnie pétrolière qui grandit au Texas et en Oklahoma, a étudié à Magdalen College à Oxford en tant que boursier (sans finir son cursus).
Parallèlement à cela, dans sa jeunesse, il a travaillé en été en tant que saisonnier dans des champs au Canada et aux Etats-Unis, ainsi que comme ouvrier, mais aussi comme journaliste pour les prestigieuses revues Life, Newsweek et The New Yorker. Il a suivi des cours de philosophie à Harvard, avant de devenir lui-même professeur au MIT, époque à la quelle il se lie d’amitié avec le philosophe américain Stanley Cavell. Mais au bout d’un an, il quitta son poste, laissant en plan sa thèse sur « le concept d’horizon chez Husserl et Heidegger » et suivit une formation en cinéma à l’American Film Institute. Après avoir dirigé un court-métrage dans lequel il jouait également, il se fit une réputation dans la réécriture de scénarios[2], puis réalisa La Ballade Sauvage, avec une équipe réduite, non syndiquée et un budget de 300 000 dollars plus que dérisoire. Le tournage fut compliqué, faillit s’arrêter par manque d’argent ; Malick remplaça lui-même un acteur absent le temps d’une courte scène [3] .
Parallèlement à cela, dans sa jeunesse, il a travaillé en été en tant que saisonnier dans des champs au Canada et aux Etats-Unis, ainsi que comme ouvrier, mais aussi comme journaliste pour les prestigieuses revues Life, Newsweek et The New Yorker. Il a suivi des cours de philosophie à Harvard, avant de devenir lui-même professeur au MIT, époque à la quelle il se lie d’amitié avec le philosophe américain Stanley Cavell. Mais au bout d’un an, il quitta son poste, laissant en plan sa thèse sur « le concept d’horizon chez Husserl et Heidegger » et suivit une formation en cinéma à l’American Film Institute. Après avoir dirigé un court-métrage dans lequel il jouait également, il se fit une réputation dans la réécriture de scénarios[2], puis réalisa La Ballade Sauvage, avec une équipe réduite, non syndiquée et un budget de 300 000 dollars plus que dérisoire. Le tournage fut compliqué, faillit s’arrêter par manque d’argent ; Malick remplaça lui-même un acteur absent le temps d’une courte scène [3] .
Si Malick peut être considéré comme un cinéaste rare en raison de son talent exceptionnel, il l’est aussi par son absence dans les médias : en effet, sur l’ensemble sa carrière, il n’a accordé que trois entretiens à la presse internationale et n’apparaît jamais dans les cérémonies ni pour assurer la promotion de ses films. Il n’existe que quelques photos de lui et il n’apparaît jamais dans les bonus de DVD.
Après son second chef-d’œuvre, Les Moissons du ciel (Days of Heaven, 1979), qui fit découvrir le jeune Richard Gere et pour lequel le chef opérateur Nestor Almendros remporta un Oscar et Malick le prix de la mise en scène à Cannes, le cinéaste rentrait dans un silence long de deux décennies dont on ne sait quasiment rien, si ce n’est, grâce en partie à un article de Michel Ciment[4] qu’il travailla à un projet de film nommé Q et qui devait narrer la création du monde et l’histoire de l’humanité (!), ainsi qu’à une adaptation théâtrale du film L’Intendant Sansho de Mizoguchi, ainsi qu’il vécut entre Paris, sur l’île Saint-Louis, et Austin au Texas, voyageant à travers le monde. Il se lança finalement dans la production épique de La Ligne rouge, adapté d’un roman de James Jones, après avoir hésité à porter à l’écran le Tartuffe de Molière.
« Le côté sudiste de Holly est essentiel pour la comprendre. La mort de son père ne la laisse pas indifférente. Elle a peut-être versé des torrents de larmes, mais elle ne veut rien vous en dire. Ce ne serait pas convenable. On doit toujours rester sensible au fait qu’elle ne mentionne pas de grandes parties de son aventure parce qu’elle a un sens aigu, mal placé, des convenances. On peut sûrement se demander comment une personne qui passe par où elle passe peut s’intéresser le moins du monde aux convenances. Mais c’est son cas. Et son genre de clichés n’est pas né dans les magazines à dix sous, comme l’ont suggéré certains critiques. Il est présent en Nancy Drew et Tom Sawyer. Ce n’est pas, voilà ce que j’essaie de dire, le symptôme d’un esprit affaibli, nourri de romans de gare, mais celui de l’ « innocent égaré ». Quand les gens expriment ce qui leur tient le plus à cœur, cela prend souvent la forme de clichés. Cela ne les rend pas risibles ; c’est une sorte de fragilité qu’ils évoquent. Comme si, en s’efforçant d’atteindre ce qu’ils ont de plus personnel, ils ne trouvaient ce qu’ils ont de plus général. (…) Les films cultivent le mythe que la souffrance rend profond. Qu’elle incite à dire des choses profondes. Qu’elle forme le caractère et assainit l’âme. Qu’elle donne des leçons inoubliables. Les gens qui ont souffert promènent dans les films des mines longues et pensives, comme si tout s’était écroulé pas plus tard que la veille. Ce n’est pas le cas dans la vie, pourtant, pas toujours. La souffrance peut faire devenir superficiel et, loin de rendre vulnérable, endurcir. C’est l’effet qu’elle a produit sur Kit.
« Kit ne se voit pas du tout comme un être triste ou pitoyable, mais comme un sujet d’un incroyable intérêt, pour lui-même et pour les générations à venir. Comme Holly, comme un enfant, il ne croit qu’à ce qui se passe au-dedans de lui. La mort, les émotions des autres, les conséquences de ses actes – tout cela est plutôt abstrait pour lui. Il se voit en successeur de James Dean – en « rebelle sans cause » - alors qu’il est plutôt un conservateur à la façon d’Eisenhower. « Prenez en compte l’opinion de la minorité, dit-il pour le magnétophone de l’homme riche, mais essayez de vous accorder avec l’opinion de la majorité dès lors qu’elle est acceptée. » Il ne croit vraiment rien de tout cela, mais il envie les gens qui le font, qui y arrivent. Il veut être comme eux, comme l’homme riche qu’il enferme dans le placard, le seul qu’il ne tue pas, le seul qui suscite sa sympathie, et celui qui a le moins besoin de sympathie. Il n’est pas rare que les gens des bas-fonds soient ceux qui défendent le plus énergiquement les règles qui les ont précipités et maintenus là où ils sont. »
Mais il semblerait que ces êtres et ces choses peuplant un seul et même monde ne cohabitent pas nécessairement. Et cette idée d’une nature et d’une faune indifférentes au drame humain qui se déroule à côté d’elles est donc bel et bien transmise par la mise en scène du cinéaste : littéralement, et la plupart du temps, les humains, les animaux et les plantes, fleurs ou arbres, sans citer les éléments naturels et les astres n’apparaissent donc pas dans le même plan. C’est ce que Christian Viviani appelle le « bestiaire » dans un article général publié à la sortie de La Ligne rouge : « Symbole de vie car symbole de mort, le bestiaire intervient souvent par inserts, son caractère immuable ainsi abstrait du conflit humain. Posé sur lui comme un commentaire. La vie va et vient, tandis que les hommes, eux, semblent aller vers leur anéantissement. (…) Tout comme le commentaire, le bestiaire mélancolise et transcende à la fois [6] . »
De cette exclusion du monde pour ses personnages, exclusion rendue donc tangible par sa mise en scène, et de cette perte perpétuelle de la beauté insaisissable du monde, naît la mélancolie de son cinéma.
[1] COURSODON Jean-Pierre et TAVERNIER Bertrand, 50 ans de cinéma américain, Nathan, Paris, 1995, p. 685.
[2] Pratique peu connue en France, il s’agit, pour ces scénaristes, la plupart du temps à la demande d’un producteur ou d’un cinéaste, de retravailler sur une première version de l’histoire écrite par un autre.
[3] C’est donc le seul document qui nous permet de visualiser Malick en mouvement et d’entendre le son de sa voix, le cinéaste n’ayant donné que des interviews à la presse écrite et n’apparaissant absolument jamais à la radio, à la télévision ou dans des documentaires.
[4] CIMENT Michel, « L’absence de Malick », Positif, n° 446, avril 1998, p. 52.
[5] Propos recueillis par Beverly Walker et publiés dans la livraison de Sight and Sound du printemps 1975. Traduit de l’anglais par Alain Masson pour la revue Positif, n° 591, mai 2010, pp. 27-28.
[6] VIVIANI Christian, « Terrence Malick, l’harmonie de la disharmonie », Positif, n° 457, mars 1999, p. 11.
[7] FRAISSE Philippe, « Les voix sauvages de Terrence Malick », Positif, n° 591, mai 2010, p. 25.
[8] CHION Michel, La Ligne rouge, Les Editions de La Transparence, Chatou, 2005, p. 11.
[9] FRAISSE, p. 26.
Analysée rédigée par Arthur