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Lettre d'une inconnue - le synopsis

Bonjour à tous,
grande nouvelle : la salle dussane est entrée dans le 21ème siècle. On espère que ça sera un nouveau départ pour le cinéma à l'ENS en général et le ciné-club en particulier. Pour bien démarrer, un chef d'oeuvre hollywoodien : Lettre d'une inconnue de Max Ophuls, dont voici le synopsis par Marie:



Vienne, 1900
Nous voilà dès l’abord plongé dans cette atmosphère belle-époque et germanique, nostalgique et romantique, que Max Ophuls aimait tant. C’est la période chérie de Max Ophuls, et on peut dire qu’il la rend à merveille. On la retrouvera après guerre dans la Vienne de La Ronde (1950), merveilleuse fantaisie théâtrale et amoureuse avec Gérard Philippe, Danielle Darrieux, et Simone Signoret, adaptée du dramaturge viennois Schnitzler, puis dans l’enchanteur triptyque adapté de nouvelles de Montpassant, le Plaisir (1952) – avec en particulier l’inoubliable Maison Tellier (avec Danielle Darrieux en prostituée rêveuse, Madeleine Renaud en souteneuse dynamique, et (last but not least !) Jean Gabin en rustre au grand cœur), qui se déroule cette fois-ci dans une belle-époque bien française ! C’est de fait une période qu’il représente dès 1933, dans Liebelei, également adaptée de Schnitzler.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce film, son premier film reconnu en France comme en Allemagne, est une adaptation d’une pièce de théâtre – de fait, les liens avec le théâtre, et la réflexion sur l’illusion, seront toujours très prégnants dans le cinéma d’Ophuls, dans le maniement même qu’il a de la caméra (mais nous y reviendrons). En effet, Max Ophuls, bien qu’il soit né Oppenheimer dans une grande famille d’industriels sarrois en 1902, est passé par le théâtre (acteur, critique, metteur en scène), et n’aborde le cinéma qu’avec le parlant.
"Quand vous lirez cette lettre, je serai peut-être déjà morte"
Un pianiste sur le retour reçoit une lettre. La lettre d’une femme inconnue, qui lui révèle l’amour qu’elle lui a porté pendant toute sa vie, depuis sa prime adolescence et jusqu’à sa mort, sans qu’il en sache rien, mise à part quelques rencontres fortuites et passagères, que lui, l’homme à femmes, a presque immédiatement oubliées.
C’est un récit de vie, auquel nous assistons, délicat et tragique. Le récit d’un amour puissant, absolu, et sacrificiel. C’est le portrait d’une femme sublime (incarnée par une non moins sublime Joan Fontaine ! qu’il faut aller absolument revoir dans Rebecca de Hitchcock !), une femme amoureuse – d’un amour sans espoir. Lisa, c’est la gravité, la dévotion. Mais c’est avec non moins d’intensité et de profondeur qu’est dépeinte, à travers à la fois le récit de Lisa, l’œil de la caméra, et la perception de Stefan de sa propre vie, la frivolité du pianiste, sa futilité tragique – puisqu’il néglige à la fois son talent et ses femmes, et vieillit dans une solitude sans mémoire. Toutes les femmes se mélangent dans ses souvenirs, et il ne peut se rappeler celle qui l’a aimé comme personne, celle qui a donné sens, forme et fin à sa vie, sans qu’il le sache, celle qui est capable de raconter sa vie mieux que lui-même, à travers sa propre vie et l’amour immense qu’elle a eu pour lui.
Adaptation hollywoodienne de Zweig ou manifeste ophulsien ?
L’histoire, bien sûr, est adaptée d’une nouvelle de Stefan Zweig publiée en 1927. D’aucuns reprocheront à cette adaptation son manque d’audace. De fait, l’œuvre de Zweig joue beaucoup plus avec la temporalité, le récit n’est pas linéaire, comme dans le film où l’on va de l’enfance à la mort, avec quelques va-et-vient avec le moment où le pianiste lit la lettre. On est donc en présence d’un flash-back des plus classiques, suscité par une lettre (l’écrit à l’origine de l’image…). La nouvelle est peut-être, vue sous cet angle, plus poignante, moins conventionnelle. De fait, Lettre d’une inconnue, a été tournée à Hollywood, en 1948. Ceci explique peut-être sa facture assez classique et peu audacieuse – par opposition à la fantaisie (emprunte également d’un certain classicisme formel) de la Ronde ou du Plaisir, films qu’il tournera à son retour en France en 1950 (avec ensuite Madame de… d’après Louis de Vilmorin, et Lola Montès) et qui feront de lui l’une des grandes références de l’équipe des Cahiers du Cinéma et de la Nouvelle Vague : Lola de Jacques Demy, pour ne citer que lui, est un hommage à Max Ophuls, et en particulier à la Ronde, et à sa série de rencontres et coïncidences, qui relie et enchaîne tous les personnage entre eux.

Mais avant cela, l’avènement du nazisme a en effet forcé Max Ophuls à fuir l’Allemagne en 1933. Après s’être réfugié en France, où il tourne quelques films (Yoshiwara, La Tendre Ennemie, Le Roman de Werther, de Mayerling à Sarajevo), l’armistice de 1940 l’oblige à nouveau à s’exiler : il quitte la France pour les Etats-Unis. Après une longue période d’inactivité, Max Ophuls sort en 1948 Lettre d’une inconnue, sa « Liebelei américaine », avant de réaliser Caught avec James Mason, plus typiquement hollywoodien, mélodramatique, mais également vaguement wellesien.
Et c’est pourtant semble-t-il dans ce contexte hollywoodien qu’Ophuls donne la pleine mesure de son talent. Tout d’abord, il y a aborde un thème qui lui est cher : celui des femmes donc l’amour et la vie ont été brisés par une société insensible, dominée par une étiquette implacable et une apparente bienséance, qu’il avait déjà traité dans Libelei, et qu’il retrouvera dans Lola Montes (1955), sa dernière œuvre, film flamboyant avec une magnifique Martine Carol, mais bide commercial, ainsi que dans Madame de… (1953) avec une lumineuse Danielle Darrieux en femme du monde amoureuse, et un splendide Vittorio de Sica en galant italien, mais aussi dans la troisième partie du Plaisir (Le Modèle), où il est également question d’une femme (et de deux vies) brisées par une déception amoureuse.
Dans ce film, donc, Max Ophuls parvient déjà à déployer la virtuosité technique qui lui sera caractéristique dans ces derniers films français. Comme l’écrit Jacques Lourcelles dans son Dictionnaire du Cinéma : « La caméra ophulsienne se promène dans les couloirs des maisons, remonte les escaliers, longe les quais des gares, passe d'un personnage à l'autre avec autant de virtuosité que de naturel. C'est le triomphe de ce baroque fluide qui capte et communique au public les émotions les plus intimes des personnages à partir de leurs évolutions et de leurs déplacements dans l'espace. » La caméra d’Ophuls est toute en mouvement, en souplesse. Elle cherche à capter le mouvement, car elle cherche à capter la vie, car, comme le dira Lola dans Lola Montès, « la vie, pour moi, c’est le mouvement ». Que l’on pense à la ronde des amours changeants de la Ronde. Que l’on pense également à l’admirable plan-séquence en traveling à travers la fête endiablée du Masque qui ouvre le Plaisir. Mais la mobilité de la caméra, c’est aussi une façon de démasquer l’illusion cinématographique, de montrer que le cadre n’est qu’un regard parmi d’autre. C’est ce que mettra en évidence un autre traveling, celui qui vient présenter la Maison Tellier de l’extérieur, depuis les fenêtres, et vient illustrer visuellement le concept de « Maison Close », car jamais la caméra, regard extérieur, ne pénètrera dans les murs de cette fascinante demeure.

Mais surtout, son usage mobile de la caméra, du traveling, mais également sa façon de cadrer puis de monter, vient admirablement nous montrer à l’écran le passage du temps. Et a fortiori dans un film où l’on va et vient entre présent de la lecture et passé raconté dans la lettre ! Par exemple, dans un des derniers plans du film, Max Ophuls cadre la porte d’entrée de l’immeuble, et, avant même que le pianiste ne se souvienne réellement de la petite adolescente qui lui tenait la porte une quinzaine d’années plus tôt, le spectateur a la mémoire visuelle de cet instant : le plan est le même, le cadre est le même qu’au début du film. Ainsi, avec une simplicité virtuose, Max Ophuls parvient à faire voir simultanément à l’écran deux temps différents, c’est-à-dire à rendre d’une part le phénomène de la mémoire involontaire, et d’autre part à montre le temps dans l’image – et montrer le temps qui a passé en une seule image, n’est-ce pas une façon en même temps de dépeindre dans cette même image, deux vies qui ont passé, l’illusion de la frivolité de l’un et de l’amour de l’autre, deux vies écoulées qui n’en font qu’une, aussi belles et vaines l’une que l’autre.
Mon dernier exemple sera emprunté à Jacques Lourcelles, et je lui laisserai le mot de la fin : « Voir le superbe fondu entre le plan de Lisa s'éloignant de dos hors de la gare (où elle vient de quitter Stefan) et celui de la religieuse s'avançant face à la caméra vers le lit d'où Lisa a accouché. Par une telle liaison enter deux séquences, à la fois simple, bouleversante et inattendue Ophuls révèle comme tout grand metteur en scène sa nature de démiurge, son aptitude à être, dans son récit le maître du temps aussi bien que des émotions du spectateur. »
Marie Pierre