Bande-annonce du film
Après le beau succès de la Nuit américaine la semaine dernière, nous poursuivons notre cycle "Méta !" avec le documentaire Lost in la Mancha, de Fulton et Pepe, un film fascinant, drôle et cruel sur l'échec du film maudit de Terry Gilliam, consacré à Don Quichotte.
Rapide synopsis : Depuis plus de vingt ans, Terry Gilliam n’a qu’un rêve : réaliser un film sur Don Quichotte. C’est l’exemple parfait du film maudit qu'un auteur ne parvient jamais à mener à son terme. Les documentaristes Fulton et Pepe devaient filmer le making-of d’un chef d’oeuvre, qui deviendra finalement le film racontant l’échec d’un film. Une entrée passionnante et déroutante dans l’univers de Gilliam et des rêves de cinéma : avec Johnny Depp, Jean Rochefort, Terry Gilliam, etc.
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Et pour résumer :
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour voir et revoir
Lost in la Mancha
sur Terry Gilliam, par Fulton et Pepe
USA. 2000. Couleurs. 89 minutes.
Réalisateurs : Keith Fulton, Louis Pepe.
Productrice : Lucy Darwin
Musique : Miriam Cutler
Avec : Terry Gilliam, Johnny Depp, Jean Rochefort, Jeff Bridges, Vanessa Paradis.
Dans notre deuxième film de notre cycle « Méta ! », Lost in la Mancha trouvait naturellement sa place. Dans cet ensemble de films qui privilégient la mise en abime et la réflexion sur le cinéma, ce documentaire ne peut manquer d'attirer l'attention. Lost in la Mancha est un making-of qui prend la place d'un film qui restera à l'état de projet ou de rêve, un réalisateur qui en vient progressivement à ressembler étrangement au protagoniste de son propre film, un film sur l'absence de film, la difficulté de faire du cinéma. La forme documentaire est ici loin d'être remarquable et pour cause : nul ne pensait que le film échouerait et que ce documentaire, tourné en HD, aurait un autre destin que celui d'un bonus de DVD. Et on retrouve, parfois de manière trop insistante, le ton apologétique qui caractérise trop souvent ce genre d'exercice destiné aux fans ("Terry Gilliam, quel génie !" répété à tort et à travers). C'est donc au fur et à mesure que le sujet s'est dessiné et que le making-of est devenu un documentaire. Sortie en salle en 35mm, imprimée sur un format trop grand pour elle, l'image porte en elle le parcours erratique et chaotique de ce film maudit. Plutôt qu'un documentaire, Lost in la Mancha est un document, oui, mais un document passionnant.
L'homme qui devint Don Quichotte
Nous sommes en 2000. Depuis dix ans déjà, Terry Gilliam rêve d'adapter le grand œuvre de Cervantes. Le scénario est prêt et s'appelle l'Homme qui tua Don Quichotte. L'adaptation est toute personnelle et farfelue. Sancho Panza n'apparaîtrait qu'au début du film et s'effacerait rapidement, remplacé par un imposteur nommé Toby Grisoni... ce dernier n'étant autre qu'un publicitaire venu du XXème siècle propulsé dans cet univers — une influence de l'Armée des douze singes ? Le casting est également prêt depuis longtemps. Johnny Depp est choisi pour interpréter Toby Grisoni, Vanessa Paradis pour jouer sa dame, Jeff Bridges sera également de la partie. Et surtout, il y aura Jean Rochefort, passionné par Don Quichotte —certains diraient « le rôle de sa vie » —, qui s'est beaucoup investi pour ce film et a appris l'Anglais spécialement à cette occasion (sept mois de travail avant le début du tournage). Malgré les difficultés d'organisation et de production qui s'annoncent dès les premières prises, l'enthousiasme est là : les story-boards, les décors, les costumes, les acteurs... par bribes, mais seulement par bribes, le spectateur entrevoit la vision de Terry Gilliam.
Mais très rapidement, les difficultés surviennent et s'accumulent, parfois au point où le spectateur se demande s'il n'est pas devant un film des Monty Python. En arrivant sur le lieu du tournage, l'équipe découvre avec horreur que le désert choisi sert de terrain d'entraînement pour les avions de chasse de l'OTAN. Le bruit rend toutes les prises inutilisables en tant que telles et devront être doublées en post-production. Le deuxième jour, une pluie éclair ravage le matériel. On apprend rapidement que Jean Rochefort peut à peine monter à cheval en raison d'une double ernie discale et qu'il peut difficilement jouer Don Quichotte à cheval tout en disant son texte. Vanessa Paradis semble de moins en moins disponible... La pression financière continue de monter. Terry Gilliam, habitué des tournages impossibles, s'acharne, se bat pour faire vivre son film. Mais en définitive, la « réalité » de la production et du tournage auront raison du réalisateur : le film est devenu un tel gouffre financier que le scénario est racheté par les compagnies d'assurance. Voici Gilliam dépossédé de son propre scénario.
Le ton du documentaire reste léger et vif, souvent amusant pour le spectateur. L'hommage au travail de dessinateur de Gilliam, notamment à ses montages de photographies de l'époque des Monty Python, est récurrent dans Lost in la Mancha. Comme dans la Nuit américaine, le train semble un instant lancé, lorsque Johnny Depp improvise pour créer son étrange personnage ou que Jean Rochefort s'efforce de jouer malgré la douleur. Mais le spectateur assiste à l'inexorable catastrophe et contemple le train qui déraille. Terry Gilliam se débat comme il peut, avec des réparties et beaucoup d'humour au début ; il perd peu à peu espoir et finit par se taire, incapable de commenter ce désastre. Visiblement blessé pour longtemps, empêché matériellement de faire son film et dépossédé de son œuvre, Gilliam reste déterminé et n'abandonne pas. Pour l'anecdote, le réalisateur parvient huit ans plus tard à racheter les droits de l'Homme qui tua Don Quichotte, à monter un nouveau film avec Ewan Mc Gregor... tournage qui échoue à nouveau en 2010. Un échec qui contribue aux légendes sur le film maudit par excellence, le film sur Don Quichotte.
Don Quichotte, film maudit par excellence ?
Le Don Quichotte d'Orson Welles
Il faut dire que Gilliam avait un prédécésseur en la matière, et pas des moindres : Orson Welles s'était aussi lancé dans un projet personnel, aujourd'hui quasi-mythique, autour de Don Quichotte. Le tournage commence dans les années 1950. En raison d'un budget serré et d'un parti pris, le film est entrepris avec une petite caméra mobile, en noir et blanc et, plus surprenant, en muet. Le tournage est sans cesse interrompu puis repris, les lieux changent en permanence : les décors alternent entre Italie, Mexique, Espagne, etc. Orson Welles n'est jamais satisfait de ses prises. Le projet se poursuit ainsi, en pointillets, jusqu'à la mort du réalisateur. Dix heures de rush sont ainsi conservées de par le monde, notamment à la Cinématèque française. En 1991, Jess Franco, co-scénariste du film, entreprend de « terminer » Don Quichotte, en montant les prises disponibles. On craint que l'histoire ne se répète avec Gilliam : aux dernières nouvelles, il est toujours perdu dans la Mancha.
Gabriel