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Arsenic et vieilles dentelles, de Frank Capra (mercredi 25 avril 2012)





Bande annonce de Arsenic et vieilles dentelles, de Frank Capra


Qui a dit que les personnes âgées étaient soit séniles soit gentilles ? Nous avions commencé l'année avec Whatever happened to Baby Jane, ce qui nous a donné envie de rencontrer un peu plus de personnages de vieilles dames pas si faibles que ça. Bienvenue dans notre nouveau cycle, sobrement intitulé Vieilles et Coriaces.

Nous commençons tout de suite avec l'inévitable Arsenic et vieilles dentelles de Frank Capra.

Deux exquises vieilles dames font disparaître de vieux messieurs. Mortimer, leur neveu découvre l'affaire. Mais, l'affaire se corse pour lui quand il découvre que ses cousins, l'un gentil, l'autre méchant, sont également mêlés à l'histoire et que les cadavres s'amoncellent dans la cave.


Et pour résumer:




Rendez-vous le mercredi 25 avril, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Arsenic et vieilles dentelles
de Frank Capra



Mortimer Brewster, ancien célibataire endurci, retourne voir ses deux vieilles tantes qui, après l’avoir élevé, vivent désormais ensemble. Et avec lui sa nouvelle fiancée, Elaine. Il y retrouve ses cousins, Jonathan, accompagné d’un étrange et sinistre Docteur Einstein, et Teddy, ainsi nommé pour sa sympathique manie de se prendre pour l’ancien président Theodore Roosevelt. Mais la pire découverte est sans doute celle des actes de bienfaisance de ses tantes Abby et Martha, qui abrègent l’existence des vieilles personnes solitaires par des chocolats chauds relevés à l’arsenic.



Dans les trois semaines qui le séparent de son incorporation à l’armée, et de ses productions de guerre comme le célèbre documentaire de propagande Why we fight, Franck Capra tourne Arsenic and Old Lace, une comédie, une de plus. Capra, l’un des plus influents cinéastes, achevait une première partie de sa carrière, et, si la critique ne l’estimait pas toujours à sa juste valeur, le public et nombre de ses collègues ne se trompaient pas. 


   
Une « comédie américaine » ?


Arsenic et vieille dentelle est l’aboutissement d’une décennie consacrée au genre de la comédie. L’importance de Capra pour ce genre est souvent soulignée, il en est la figure tutélaire. On reconnaît parfois en New York - Miami (1934) la première d’entre elles. Combien de films en reprendront le schéma, le style, les recettes ? Des répliques vives, spirituelles, un rythme soutenu, un couple mal assorti, souvent comportant un personnage loufoque, une présence implicite et latente de la sexualité, dans les premières années du code Hays, tels sont les traits principaux de ce genre. Et il devait connaître une grande richesse dans les années 1930, avec des personnalités aussi différentes et originales que Capra, Lubitsch, Gregory La Cava, Hawks, Preston Sturges. Arsenic et vieille dentelle reprend certains de ses aspects, notamment l’inadéquation des mondes dans lesquels vivent Mortimer et ses tantes. La folie douce (mais pourtant inquiétante) qui règne chez les vieilles filles est source de nombreuses scènes comiques, qui rappellent presque parfois le slapstick et l’humour burlesque du muet. Et il y a Cary Grant. L’acteur de L’impossible M. Bébé et de The Philadelphia Story, Hawks et Cukor, incarnait un certain type d’acteurs de comédie, ceux à qui la sophistication, la souplesse, l’humour donnaient les rôles de gentlemen. 
 

Au cœur des années de crise, la comédie était l’instrument le plus puissant de réaffirmation du rêve américain. Les pauvres sortent de la misère, les riches se rendent compte de la futilité de la richesse, chacun place finalement la communauté au dessus de son sort personnel, sauf quelques âmes damnées. Capra, qui a émigré à six ans en Californie, en 1903, depuis sa Sicile natale, l’avait senti plus que les autres. Ainsi de Clark Gable dans New York – Miami, Gary Cooper dans L’extravagant M. Deeds (M. Deeds Goes to Town, 1936). Peu de tout cela dans Arsenic et vieille dentelle. L’engagement politique qui avait caractérisé les derniers films de Capra, Vous ne l’emporterez pas avec vous (You Can’t Take it With You, 1938), et M. Smith au Sénat (M. Smith Goes to Washington, 1939) semble ici absent. Pas de conflit entre nantis et dépossédés. Le conflit moral de Mortimer – que doit-il faire à propos de ses tantes ? – est traité de manière bouffonne. C’est donc une étrange comédie que Capra a offert au public, bien différente de sa production dans les années qui précèdent.


Une « comédie noire » ?


Avant toute analyse de cette spécificité, rappelons qu’une part importante du résultat final tient au peu de temps qu’il lui restait pour tourner ce film. Le huis clos, qui souffle cette atmosphère étouffante, est bien sûr une conséquence de l’adaptation de la pièce à succès de Joseph Kesselring, Bodies in Our Cellar, dont les droits sont achetés par la Warner qui confie la réalisation à Capra. Pourtant Vous ne l’emporterez pas avec vous, d’après la pièce éponyme de George S. Kaufman et Moss Hart, prix Pulitzer en 1937, ne donnait pas une telle impression de « théâtre filmé ». Le décor unique d’Arsenic et vieille dentelle permet à Capra d’accélérer le tournage. 
 

L’humour subit également un traitement différent. On trouve dans Arsenic et vieille dentelle un humour noir plutôt inhabituel chez Capra. Les procédés comiques, s’ils restent assez inventifs, sonnent parfois de manière assez mécanique. Ainsi de ce qu’on appelle le « double take », promis à un grand avenir : Cary Grant entre en trombe dans une pièce où gît un cadavre, continuant quelques secondes avant d’en prendre conscience. L’humour ne tient pas, comme souvent dans les comédies, au marivaudage, mais à une situation désespérée, désordonnée, absurde. Pas de héros positif affrontant les injustices armé de ses principes. Cary Grant est une sorte de pantin, sans personnalité, qui court après les évènements sans les contrôler. L’histoire d’amour paraît presque secondaire dans ce film, les  « bluettes à la Capra » dont se moquaient certains critiques sont bien loin. Est-ce le climat de l’époque qui jette ce voile noir  sur la comédie ? Une crise que l’effort de guerre n’a pas encore résorbée et dont la longueur a fini par lasser les espérances surgies du New Deal, une participation imminente et non unanime à la guerre européenne. On notera bien évidemment la coïncidence avec la sortie du premier « film noir » américain, le Faucon maltais de John Huston. La communauté s’est dissoute, jusque dans sa forme élémentaire, la famille. Mortimer se rend compte à la fin qu’il ne fait plus partie de la famille. Ils ne parlent plus entre eux, ne peuvent plus échanger des paroles sensées. La moralité n’a plus de sens : trouverait-on des femmes plus gentilles qu’Abby et Martha ? La grâce a quitté les personnages de Capra, qui n’on pas, comme dans It’s a Wonderful Life (1947), un ange derrière eux. La menace n’est pas l’occasion d’un dépassement de soi, d’une démonstration de courage, mais reste présente, sourde, et a un accent étranger. Ainsi de cet étrange docteur Einstein, dont le nom résonne étrangement au regard des évènements qui allaient venir.


Carl-Loris Raschel