Bande annonce de Le Chat, de Pierre Granier-Deferre
Poursuivons notre série de portraits de Vieilles et Coriaces avec un affrontement au sommet entre Jean Gabin et Simone Signoret dans le film de Pierre Granier-Deferre Le Chat.
Dans le huis clos étouffant d'un petit pavillon de banlieue épargné par la demolition un couple vieillissant se déchire.
Et pour résumer:
Rendez-vous le mercredi 2 mai, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Le Chat
de Pierre Granier-Deferre
Julien (Jean Gabin) et Clémence
(Simone Signoret) sont un couple de retraités, accrochés au petit
pavillon d’une banlieue en pleine restructuration. Le monde qui se
reconstruit autour d’eux les enferme et la cohabitation est de
plus en plus pesante. Quand Jean recueille un chat à qui il va
vouertoute son affection, Clémence, jalouse, ne pourra le supporter
et la spirale de destruction et de haine fera de ce pavillon le
théâtre d’une guerre silencieuse.
Pierre Granier-Deferre est un
réalisateur qui s’est ouvertement opposé à la Nouvelle Vague. Au
début des années 1970, ce film fait l'effet d'un chant du cygne du
« cinéma de qualité ». Pour adapter le roman de Simenon,
Granier-Deferre choisit de s’appuyer presque uniquement sur le jeu
de deux monstres du cinéma français en gardant une facture très
classique.
Le monde d'hier
En 1971, à 50 ans,
Simone Signoret a atteint l’âge où, à cette époque, une actrice
ne peut plus faire que des rôles de vieille femme. Le réalisateur
la vieillit encore volontairement, faisant même d’elle une
infirme. Gabin a, lui, 67 ans. Ces deux acteurs ont tourné leurs
plus grands films dans l’entre-deux-guerre, un autre monde, en
somme, et ils sont aussi touchants au milieu des nouvelles stars du
cinéma français que leur pavillon dans le quartier de la Défense
en pleine construction.
Le quartier est en effet
un acteur à part entière du drame qui est en train de se nouer : il
est lui aussi mourant ou, plus
exactement renaissant, et c'est avec sympathie et nostalgie que
Granier-Deferre filme une dernière fois l'épicier et le boucher de
ce quartier de Courbevoie et fait entendre la conversation de la
tenancière de maison de passe qui compte s'installer à Clamart.
Clémence et Julien vivent donc dans un pavillon, « la maison du
bonheur », devenue l'enfer quotidien et attendent leur expropriation
au milieu des chantiers de démolition.
Pierre Granier-Deferre
filme ainsi à l'ancienne la fin de la banlieue qu'on appelait rouge
peuplée d'ouvriers syndiqués, dont Julien est un digne
représentant.
Une chambre sans
berceau
Quatre ans plus, tôt
Brel a écrit La chanson des vieux amants, ceux qui s’aiment encore
après «vingt ans d’amour». Pour Clémence et Julien, vingt-cinq
ans de cohabitation. C’est un vieux couple, des retraités à
l’ancienne que met en scène Granier-Deferre. Des retraités qui
n’ont rien d’autre à faire que de se supporter et de vivre dans
leurs souvenirs respectifs. Julien, ancien ouvrier typographe, au
milieu de sa collection de vieux journaux, et Clémence, trapéziste
de cirque précocément clouée au sol par une mauvaise chute, perdue
dans ses rêves de voltige, au milieu des photographies.
Comme chez les amants de
Brel, la chambre n’a pas connu de berceau. À sa place, trône dans
la salle à manger le panier vide du chat. Un tiers a en effet séparé
Clémence et Julien et c'est sur lui que se cristallise la fin de
leur vie. Ce chat a été un jour trouvé par Julien, en ces jours
encore heureux, peut-être, évoqués par certains flash-backs. Le
film tout entier est construit sur un long retour en arrière dont le
but est de montrer comment Julien et Clémence en sont arrivés à ne
plus communiquer que par écrit autour du panier vide du chat. Le
film est quasiment entièrement muet et le silence de la maison des
Bouin contraste avec le bruit assourdissant des démolisseuses qui se
fait entendre dès qu'on ouvre une porte ou une fenêtre et oblige
ainsi le couple à s'enfermer.
Le chat et l’acrobate
Le chat, Greffier,
affectueusement surnommé Pépère, est la propriété exclusive de
Julien, son interlocuteur principal et l'objet de ses soins. Ces
attentions déclenchent la colère de Clémence, qui en devient plus
jalouse que s'il s'agissait d'une maîtresse, comme le souligne la
présence de la prostituée au grand coeur, interprétée par Annie
Cordy, qui n'est plus pour Julien qu'une vieille confidente. Clémence
elle aussi parle au chat, lui exprime son désespoir mais ces
monologues finissent toujours par des manifestations de haine envers
l'animal qui a pris sa place. La rage impuissante de l'épouse est
magistralement interprétée par Signoret, qui hurle, pleure et épie.
La scène des chats filmés sur les échafaudages est une des
réussites du film, les félins sont gracieux et sveltes, leur
corps est à l'opposé du corps infirme de Clémence. Lorsqu'ils
sautent d'une poutre à l'autre,
Julien les regarde faire les acrobates, tandis que de sa fenêtre
Clémence n'a d'yeux que pour Julien.
« Le coeur a laché »
Ce que filme
Granier-Deferre, c'est ce qu'il reste d'un couple quand l'amour a
disparu. Alors que Clémence rêve de ses exploits passés, Julien
revoit à deux reprises dans le film, des moments d'amour et de
complicité partagés avec sa femme. Ce qui l'attendrissait, l'agace
désormais, le goût de sa femme pour la boisson en particulier, et
les plaisirs de la chair ne l'intéressent plus, selon ses dire. La
scène où Nelly la tenancière est aperçue à moitié nue, suggère
tout de même qu'il ne trouve pas cela si «
dégueulasse » et laisse penser qu'une certaine mauvaise foi n'est
pas absente des propos de Julien. Ce qui aurait
pu tourner en fait divers, suggéré lors de la scène du pistolet
devient une véritable tragédie après la disparition du chat et la
décision de Julien de ne plus parler à Clémence. Celle-ci
s'enfonce encore plus dans l'alcool et, sous couvert d'indifférence,
espionne les moindres faits et gestes de son mari. Au désespoir de
l'épouse qui se croit délaissée parce qu'elle a vieilli fait écho
la lassitude de Julien qui ne peut plus parler à sa femme mais ne
peut que parler d'elle avec les autres.
Ne se supportant plus
mais ne pouvant se quitter, Julien et Clémence ne partagent plus que
de la haine et un pavillon dont ils vont être expulsés. La fin du
film, révélant la collection des mots de haine adressés par Julien
amoureusement conservée par Clémence est la dernière image du
désespoir qu'elle ressent. Lui répond le cri d'amour final de
Julien qui rompt, trop tard, le silence qu'il a imposé.
Manon Brouillet