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Le Chat, de Pierre Granier-Deferre (mercredi 2 mai 2012)





Bande annonce de Le Chat, de Pierre Granier-Deferre


Poursuivons notre série de portraits de Vieilles et Coriaces avec un affrontement au sommet entre Jean Gabin et Simone Signoret dans le film de Pierre Granier-Deferre Le Chat.


Dans le huis clos étouffant d'un petit pavillon de banlieue épargné par la demolition un couple vieillissant se déchire.


Et pour résumer:



Rendez-vous le mercredi 2 mai, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Le Chat
de Pierre Granier-Deferre




Julien (Jean Gabin) et Clémence (Simone Signoret) sont un couple de retraités, accrochés au petit pavillon d’une banlieue en pleine restructuration. Le monde qui se reconstruit autour d’eux les enferme et la cohabitation est de plus en plus pesante. Quand Jean recueille un chat à qui il va vouertoute son affection, Clémence, jalouse, ne pourra le supporter et la spirale de destruction et de haine fera de ce pavillon le théâtre d’une guerre silencieuse.
Pierre Granier-Deferre est un réalisateur qui s’est ouvertement opposé à la Nouvelle Vague. Au début des années 1970, ce film fait l'effet d'un chant du cygne du « cinéma de qualité ». Pour adapter le roman de Simenon, Granier-Deferre choisit de s’appuyer presque uniquement sur le jeu de deux monstres du cinéma français en gardant une facture très classique.



Le monde d'hier
En 1971, à 50 ans, Simone Signoret a atteint l’âge où, à cette époque, une actrice ne peut plus faire que des rôles de vieille femme. Le réalisateur la vieillit encore volontairement, faisant même d’elle une infirme. Gabin a, lui, 67 ans. Ces deux acteurs ont tourné leurs plus grands films dans l’entre-deux-guerre, un autre monde, en somme, et ils sont aussi touchants au milieu des nouvelles stars du cinéma français que leur pavillon dans le quartier de la Défense en pleine construction.
Le quartier est en effet un acteur à part entière du drame qui est en train de se nouer : il est lui aussi mourant ou, plus exactement renaissant, et c'est avec sympathie et nostalgie que Granier-Deferre filme une dernière fois l'épicier et le boucher de ce quartier de Courbevoie et fait entendre la conversation de la tenancière de maison de passe qui compte s'installer à Clamart. Clémence et Julien vivent donc dans un pavillon, « la maison du bonheur », devenue l'enfer quotidien et attendent leur expropriation au milieu des chantiers de démolition.
Pierre Granier-Deferre filme ainsi à l'ancienne la fin de la banlieue qu'on appelait rouge peuplée d'ouvriers syndiqués, dont Julien est un digne représentant.

Une chambre sans berceau
Quatre ans plus, tôt Brel a écrit La chanson des vieux amants, ceux qui s’aiment encore après «vingt ans d’amour». Pour Clémence et Julien, vingt-cinq ans de cohabitation. C’est un vieux couple, des retraités à l’ancienne que met en scène Granier-Deferre. Des retraités qui n’ont rien d’autre à faire que de se supporter et de vivre dans leurs souvenirs respectifs. Julien, ancien ouvrier typographe, au milieu de sa collection de vieux journaux, et Clémence, trapéziste de cirque précocément clouée au sol par une mauvaise chute, perdue dans ses rêves de voltige, au milieu des photographies.
Comme chez les amants de Brel, la chambre n’a pas connu de berceau. À sa place, trône dans la salle à manger le panier vide du chat. Un tiers a en effet séparé Clémence et Julien et c'est sur lui que se cristallise la fin de leur vie. Ce chat a été un jour trouvé par Julien, en ces jours encore heureux, peut-être, évoqués par certains flash-backs. Le film tout entier est construit sur un long retour en arrière dont le but est de montrer comment Julien et Clémence en sont arrivés à ne plus communiquer que par écrit autour du panier vide du chat. Le film est quasiment entièrement muet et le silence de la maison des Bouin contraste avec le bruit assourdissant des démolisseuses qui se fait entendre dès qu'on ouvre une porte ou une fenêtre et oblige ainsi le couple à s'enfermer.

Le chat et l’acrobate
Le chat, Greffier, affectueusement surnommé Pépère, est la propriété exclusive de Julien, son interlocuteur principal et l'objet de ses soins. Ces attentions déclenchent la colère de Clémence, qui en devient plus jalouse que s'il s'agissait d'une maîtresse, comme le souligne la présence de la prostituée au grand coeur, interprétée par Annie Cordy, qui n'est plus pour Julien qu'une vieille confidente. Clémence elle aussi parle au chat, lui exprime son désespoir mais ces monologues finissent toujours par des manifestations de haine envers l'animal qui a pris sa place. La rage impuissante de l'épouse est magistralement interprétée par Signoret, qui hurle, pleure et épie. La scène des chats filmés sur les échafaudages est une des réussites du film, les félins sont gracieux et sveltes, leur corps est à l'opposé du corps infirme de Clémence. Lorsqu'ils sautent d'une poutre à l'autre, Julien les regarde faire les acrobates, tandis que de sa fenêtre Clémence n'a d'yeux que pour Julien.

« Le coeur a laché »
Ce que filme Granier-Deferre, c'est ce qu'il reste d'un couple quand l'amour a disparu. Alors que Clémence rêve de ses exploits passés, Julien revoit à deux reprises dans le film, des moments d'amour et de complicité partagés avec sa femme. Ce qui l'attendrissait, l'agace désormais, le goût de sa femme pour la boisson en particulier, et les plaisirs de la chair ne l'intéressent plus, selon ses dire. La scène où Nelly la tenancière est aperçue à moitié nue, suggère tout de même qu'il ne trouve pas cela si « dégueulasse » et laisse penser qu'une certaine mauvaise foi n'est pas absente des propos de Julien. Ce qui aurait pu tourner en fait divers, suggéré lors de la scène du pistolet devient une véritable tragédie après la disparition du chat et la décision de Julien de ne plus parler à Clémence. Celle-ci s'enfonce encore plus dans l'alcool et, sous couvert d'indifférence, espionne les moindres faits et gestes de son mari. Au désespoir de l'épouse qui se croit délaissée parce qu'elle a vieilli fait écho la lassitude de Julien qui ne peut plus parler à sa femme mais ne peut que parler d'elle avec les autres.
Ne se supportant plus mais ne pouvant se quitter, Julien et Clémence ne partagent plus que de la haine et un pavillon dont ils vont être expulsés. La fin du film, révélant la collection des mots de haine adressés par Julien amoureusement conservée par Clémence est la dernière image du désespoir qu'elle ressent. Lui répond le cri d'amour final de Julien qui rompt, trop tard, le silence qu'il a imposé.

Manon Brouillet