Bande annonce de Arsenic et vieilles dentelles, de Frank Capra
Qui a dit que les personnes âgées étaient soit séniles soit gentilles ? Nous avions commencé l'année avec Whatever happened to Baby Jane, ce qui nous a donné envie de rencontrer un peu plus de personnages de vieilles dames pas si faibles que ça. Bienvenue dans notre nouveau cycle, sobrement intitulé Vieilles et Coriaces.
Nous commençons tout de suite avec l'inévitable Arsenic et vieilles dentelles de Frank Capra.
Deux exquises vieilles dames font disparaître de vieux messieurs. Mortimer, leur neveu découvre l'affaire. Mais, l'affaire se corse pour lui quand il découvre que ses cousins, l'un gentil, l'autre méchant, sont également mêlés à l'histoire et que les cadavres s'amoncellent dans la cave.
Et pour résumer:
Rendez-vous le mercredi 25 avril, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Arsenic et vieilles dentelles
de Frank Capra
Mortimer Brewster, ancien
célibataire endurci, retourne voir ses deux vieilles tantes qui,
après l’avoir élevé, vivent désormais ensemble. Et avec lui sa
nouvelle fiancée, Elaine. Il y retrouve ses cousins, Jonathan,
accompagné d’un étrange et sinistre Docteur Einstein, et Teddy,
ainsi nommé pour sa sympathique manie de se prendre pour l’ancien
président Theodore Roosevelt. Mais la pire découverte est sans
doute celle des actes de bienfaisance de ses tantes Abby et Martha,
qui abrègent l’existence des vieilles personnes solitaires par des
chocolats chauds relevés à l’arsenic.
Dans
les trois semaines qui le séparent de son incorporation à l’armée,
et de ses productions de guerre comme le célèbre documentaire de
propagande Why we
fight, Franck Capra
tourne Arsenic and Old
Lace, une comédie,
une de plus. Capra, l’un des plus influents cinéastes, achevait
une première partie de sa carrière, et, si la critique ne
l’estimait pas toujours à sa juste valeur, le public et nombre de
ses collègues ne se trompaient pas.
Une
« comédie américaine » ?
Arsenic
et vieille dentelle
est l’aboutissement d’une décennie consacrée au genre de la
comédie. L’importance de Capra pour ce genre est souvent
soulignée, il en est la figure tutélaire. On reconnaît parfois en
New York - Miami
(1934) la première d’entre elles. Combien de films en reprendront
le schéma, le style, les recettes ? Des répliques vives,
spirituelles, un rythme soutenu, un couple mal assorti, souvent
comportant un personnage loufoque, une présence implicite et latente
de la sexualité, dans les premières années du code Hays, tels sont
les traits principaux de ce genre. Et il devait connaître une grande
richesse dans les années 1930, avec des personnalités aussi
différentes et originales que Capra, Lubitsch, Gregory La Cava,
Hawks, Preston Sturges. Arsenic
et vieille dentelle
reprend certains de ses aspects, notamment l’inadéquation des
mondes dans lesquels vivent Mortimer et ses tantes. La folie douce
(mais pourtant inquiétante) qui règne chez les vieilles filles est
source de nombreuses scènes comiques, qui rappellent presque parfois
le slapstick et l’humour burlesque du muet. Et il y a Cary Grant.
L’acteur de L’impossible
M. Bébé et de The
Philadelphia Story,
Hawks et Cukor, incarnait un certain type d’acteurs de comédie,
ceux à qui la sophistication, la souplesse, l’humour donnaient les
rôles de gentlemen.
Au
cœur des années de crise, la comédie était l’instrument le plus
puissant de réaffirmation du rêve américain. Les pauvres sortent
de la misère, les riches se rendent compte de la futilité de la
richesse, chacun place finalement la communauté au dessus de son
sort personnel, sauf quelques âmes damnées. Capra, qui a émigré à
six ans en Californie, en 1903, depuis sa Sicile natale, l’avait
senti plus que les autres. Ainsi
de Clark Gable dans New
York – Miami,
Gary Cooper dans L’extravagant
M. Deeds
(M.
Deeds Goes to Town,
1936). Peu de tout
cela dans Arsenic et
vieille dentelle.
L’engagement politique qui avait caractérisé les derniers films
de Capra, Vous ne
l’emporterez pas avec vous
(You Can’t Take it
With You, 1938), et
M. Smith au Sénat
(M. Smith Goes to
Washington, 1939)
semble ici absent. Pas de conflit entre nantis et dépossédés. Le
conflit moral de Mortimer – que doit-il faire à propos de ses
tantes ? – est traité de manière bouffonne. C’est donc une
étrange comédie que Capra a offert au public, bien différente de
sa production dans les années qui précèdent.
Une
« comédie noire » ?
Avant
toute analyse de cette spécificité, rappelons qu’une part
importante du résultat final tient au peu de temps qu’il lui
restait pour tourner ce film. Le huis clos, qui souffle cette
atmosphère étouffante, est bien sûr une conséquence de
l’adaptation de la pièce à succès de Joseph Kesselring, Bodies
in Our Cellar, dont
les droits sont achetés par la Warner qui confie la réalisation à
Capra. Pourtant Vous
ne l’emporterez pas avec vous,
d’après la pièce éponyme de George S. Kaufman et Moss Hart, prix
Pulitzer en 1937, ne donnait pas une telle impression de « théâtre
filmé ». Le décor unique d’Arsenic
et vieille dentelle permet
à Capra d’accélérer le tournage.
L’humour
subit également un traitement différent. On trouve dans Arsenic
et vieille dentelle
un humour noir plutôt inhabituel chez Capra. Les procédés
comiques, s’ils restent assez inventifs, sonnent parfois de manière
assez mécanique. Ainsi de ce qu’on appelle le « double
take », promis à un grand avenir : Cary Grant entre en
trombe dans une pièce où gît un cadavre, continuant quelques
secondes avant d’en prendre conscience. L’humour ne tient pas,
comme souvent dans les comédies, au marivaudage, mais à une
situation désespérée, désordonnée, absurde. Pas de héros
positif affrontant les injustices armé de ses principes. Cary Grant
est une sorte de pantin, sans personnalité, qui court après les
évènements sans les contrôler. L’histoire d’amour paraît
presque secondaire dans ce film, les « bluettes à la
Capra » dont se moquaient certains critiques sont bien loin.
Est-ce le climat de l’époque qui jette ce voile noir sur la
comédie ? Une crise que l’effort de guerre n’a pas encore
résorbée et dont la longueur a fini par lasser les espérances
surgies du New Deal, une participation imminente et non unanime à la
guerre européenne. On notera bien évidemment la coïncidence avec
la sortie du premier « film noir » américain, le Faucon
maltais de John
Huston. La communauté s’est dissoute, jusque dans sa forme
élémentaire, la famille. Mortimer se rend compte à la fin qu’il
ne fait plus partie de la famille. Ils ne parlent plus entre eux, ne
peuvent plus échanger des paroles sensées. La moralité n’a plus
de sens : trouverait-on des femmes plus gentilles qu’Abby et
Martha ? La grâce a quitté les personnages de Capra, qui n’on
pas, comme dans It’s
a Wonderful Life
(1947), un ange derrière eux. La menace n’est pas l’occasion
d’un dépassement de soi, d’une démonstration de courage, mais
reste présente, sourde, et a un accent étranger. Ainsi de cet
étrange docteur Einstein, dont le nom résonne étrangement au
regard des évènements qui allaient venir.
Carl-Loris
Raschel