Bande annonce de La Rumeur, de William Wyler
Attention, la séance initialement annoncée le mercredi 18 avril aura finalement lieu le mardi 17 avril. Avec nos excuses.
Un dernier film hors cycle, et pas des moindres! Un vrai film de ciné-club: La Rumeur de William Wyler. Venez nombreux voir ou revoir ce film incontournable, porté entre autre par Audrey Hepburn.
Dans une petite ville de province, deux amies Karen Wright et Martha Dobie dirigent une institution pour jeunes filles, aidées par Lily, la tante de Martha, une ancienne actrice excentrique. Fiancée au médecin Joe Cardin, Karen a du mal à s'engager et à laisser à Martha la direction de l'école. Mary, une élève insolente et menteuse, alors qu'elle a été punie, lance la rumeur que les deux professeurs ont une relation "contre-nature". Elle commence par le raconter à sa grand-mère...
Et pour résumer:
Rendez-vous le mardi 17 avril, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
La Rumeur
de William Wyler
Karen Wright
et Martha Dobie, deux amies d’enfance orphelines, se sont associées
pour fonder une école de jeunes filles dans une petite ville des
États-Unis ; après plusieurs années de dur labeur, elles
commencent à récolter les fruits de leur travail. Karen, fiancée
au docteur Joseph Cardin, accepte de fixer une date pour le mariage,
et Martha craint de voir son amie s’éloigner. C’est alors que
Mary Tilford, une pensionnaire insolente et menteuse punie par Karen
et Martha, répand la rumeur que les deux femmes entretiendraient
« une relation contre-nature »…
Adaptation
et remake
The
Children’s Hour est à l’origine
une pièce de théâtre de Lillian Hellman, née d’un fait divers
survenu en Écosse. D’abord interdite à cause des références à
l’homosexualité, elle est finalement jouée en 1934 à Broadway et
connaît un succès considérable. Le producteur Samuel Goldwyn en
achète les droits pour l’adapter au cinéma, mais il se heurte au
très strict Code Hays, la haute autorité de censure de Hollywood :
il lui est interdit d’utiliser le titre de la pièce, d’évoquer
le lien entre celle-ci et le film et, bien sûr, de faire allusion au
lesbianisme. C’est ainsi que William Wyler réalise en 1936 une
première version de La Rumeur,
intitulée These Three,
avec Miriam Hopkins, Merle Oberon et Joel McCrea, dans laquelle il
transforme l’intrigue en un trio hétérosexuel et déplace la
rumeur vers une éventuelle relation de Martha (Miriam Hopkins) avec
le fiancé de Karen, tout en optant pour une réconciliation finale.
Vingt-cinq ans plus tard, auréolé du succès de La
Loi du Seigneur (Palme d’Or à
Cannes en 1957) et des onze Oscars de Ben
Hur en 1959, Wyler peut se lancer
dans un remake plus audacieux de son propre film, plus fidèle à la
pièce originelle de Lilian Hellman, grâce à sa propre notoriété
et à l’assouplissement du Code. Miriam Hopkins, qui incarnait
Martha dans These Three,
reparaît dans The Children’s Hour
sous les traits de l’actrice ratée Lily Mortar, tante de Martha.
Avant la sortie du film, Wyler décide toutefois de couper certaines
scènes qu’il juge trop explicites ; elles se retrouvent pour
la plupart dans la version DVD de La
Rumeur.
Austérité
et maîtrise
La Rumeur
est un film d’une grande maîtrise formelle et stylistique, d’une
réalisation très précise. Après les grands succès publics qu’ont
été La Loi du seigneur
et Ben Hur,
Wyler s’autorise un film plus intimiste et plus exigeant, tout en
évitant les écueils du théâtre filmé. Il abandonne la couleur
pour revenir au noir et blanc des origines du cinéma, ce qui a pour
effet de mettre en valeur le visage de ses actrices tout en
insufflant au film une austérité, une tension visible jusque dans
la lumière. La plus grande partie de l’action se déroule en
intérieur dans une atmosphère de plus en plus étouffante, où
chaque personnage ploie sous le poids des regards. Wyler fait
coexister des scènes d’une grande sobriété avec des procédés
de mise en scène novateurs, tels que des éclairs de Nouvelle Vague
dans la scène de la voiture d’Amelia Tilford ou dans les gros
plans hachés sur le visage de Karen. En 1961, lui-même est au
sommet de sa gloire, Audrey Hepburn a déjà été consacrée entre
autres par Vacances Romaines
(de Wyler, 1953) et par le tout récent Diamants
sur Canapé (Blake Edwards, 1961) ;
quant à Shirley MacLaine, elle s’est affirmée l’année
précédente comme une actrice qui compte avec La
Garçonnière, de Billy Wilder. A sa
sortie, le film connaît un accueil contrasté et, malgré un casting
brillant et une mise en scène pointue, il est quelque peu tombé
dans l’oubli, restant dans l’ombre des grands succès de son
réalisateur.
Le sujet de
l’homosexualité
En 1961,
l’homosexualité est un sujet tabou dans la société américaine,
et faire un film autour de ce sujet, a
fortiori avec deux grandes actrices
au sommet de leur gloire, paraît extrêmement audacieux. Pourtant,
Shirley MacLaine disait en 1995 dans The
Celluloid Closet : « Quand
on a fait ce film, l’homosexualité n’était pas un sujet de
conversation. Il s’agissait des accusations d’une enfant. Cela
aurait pu être n’importe quoi. Nous n’étions pas conscients de
ce que nous faisions, nous étions des pionniers involontaires, nous
ne mesurions pas la portée de ce que nous faisions. »
En outre, pour l’auteur de la pièce écrite en 1934, Lillian
Hellman, la question de l’homosexualité était secondaire :
elle entendait avant tout mettre en lumière le pouvoir du mensonge
et montrer, dans le contexte de la montée des fascismes, comment un
mensonge inventé par une classe dirigeante, représentée dans le
film par les Tilford, pouvait semer le doute dans tous les esprits et
persuader une société entière, allant jusqu’à broyer des êtres
sans défense, incarnés ici par deux jeunes institutrices pauvres et
orphelines. Shirley MacLaine y voit quant à elle une réflexion sur
le grain de vérité qu’il peut y avoir dans un mensonge.
Le film est audacieux dans la mesure
où il est l’un des tout premiers à aborder le sujet de
l’homosexualité, féminine de surcroît ; toutefois, la
vision de l’homosexualité qu’il véhicule est loin d’être
révolutionnaire. Tout d’abord, elle n’est jamais nommée et
reste prisonnière d’une chape de silence : le mot n’est
jamais prononcé, les personnages préférant les sous-entendus ou
les regards éloquents. Il faut aussi rappeler que l’homosexualité
a souvent été confondue avec la pédophilie, ce qui rend
l’accusation d’autant plus grave. En outre, elle est toujours
associée à la culpabilité et à la déviance : lorsque la
rumeur lui fait prendre conscience de ses sentiments, Martha
elle-même se voit comme un monstre et se reproche d’avoir brisé à
la fois sa vie et celle de son amie. Elle déclare elle-même :
« je suis coupable ». La seule issue proposée à la
femme homosexuelle est le suicide.
Pourtant, sans en avoir l’air, le
film inverse le schéma de pensée traditionnel et dénonce une
société bien-pensante et puritaine qui, croyant sauvegarder la
morale, se fait bourreau sanguinaire. Ce sont en effet les créatures
a priori les plus innocentes, les deux petites filles ainsi
que la grand-mère tendre et respectable, qui s’acharnent avec
cruauté sur celles qu’elles disent coupables. Ce sont elles qui
deviennent des monstres, et la colère que le spectateur ressent face
à l’injustice terrible du sort de Karen et Martha est clairement
dirigée contre ces personnages implacables. Ainsi, même si la
vision de l’homosexualité apparaît aujourd’hui très datée, le
film possède le double mérite de briser le tabou et de dénoncer
l’hypocrisie de la société puritaine.
Virginie