Bande-annonce du film.
Qui mieux que Wong Kar-Wai en seconde partie de notre dyptique consacré au cinéma de Hong-Kong ? La séance sera suivie d'une intervention de Nashidil Rouiaï, doctorante à Paris IV, et spécialiste de l'image de la Chine à travers son cinéma.
Durée : 97 minutes.
Couleur.
Pays : Hong-Kong.
Année : 1995.
Avec : Brigitte Lin Ching-hsia, Tony Leung Chiu Wai, Faye Wong .
Rapide synopsis : L'histoire de deux flics laches par leur petite amie. Le matricule 223 qui se promet de tomber amoureux de la premiere femme qui entrera dans un bar a Chungking House ou il noie son chagrin. Le matricule 663, qui chaque soir passe au Midnight Express, un fast-food du quartier de Lan Kwai Fong, acheter a la jolie Faye une "Chef Salad" qu'il destine a sa belle, une hotesse de l'air.
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Et pour résumer :
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour voir et revoir
Chungking Express
de Wong Kar-Wai
Proposition d'analyse
« It just blew me away. I just absolutely adored it. (…) This film has this wonderful romantic comedy flavour to it while at the same being encapsulized in this crazy frenetic Hong-Kong world » Quentin Tarantino
Un accident de parcours magnifique
Chungking Express est réalisé dans des conditions bien spécifiques : perdu au milieu du montage interminable de son immense épopée, Les cendres du temps, et dans l’attente d’un nouvel équipement pour refaire le son de son film, Wong Kar Wai décide de s’offrir une pause qui lui donnera le recul nécessaire pour mener à bien son œuvre. Il est assez fascinant de noter que d’après le réalisateur, même si les décors sont radicalement différents – un film historique d’arts martiaux versus un petit film citadin contemporain - , l’intrigue est la même et les personnages sont confrontés aux mêmes problèmes. C’est ainsi que naît le projet de Chungking Express, conçu comme un petit film simple, à petit budget, tourné en deux mois avec une caméra au poing, film pour ainsi dire récréatif, et qui s’avérera être, par un énième tour du génie de Wong Kar Wai, une des plus grandes réussites de sa carrière - $7,678,549 au box-office hong-kongais - et un chef d’œuvre cinématographique. Les deux films sortirent à peu près à la même date à Hong Kong. Chungking Express était à l’origine pensé comme la première partie d’une trilogie. Finalement, le film réunit les deux premières histoires de ce triptyque originel, la troisième correspondant au scénario de Fallen Angels, qui sortira un an plus tard en 1995.
Le film met donc en scène les parcours sentimentaux de deux personnages incarnés par Tony Leung et Takeshi Kaneshiro, deux policiers en panne de cœur. Le titre fait référence au Chungking Mansion, un complexe supposément résidentiel célèbre pour ses loyers les moins chers de Hong Kong et brassant toutes les ethnies de la ville dans le grand melting pot caractéristique de la ville. En chinois, le titre Chong qing sen lin signifie « Jungle de Chungking », tandis que le titre anglais est moins explicite sur cette réalité démographique, se contentant de faire un écho discret au fast-food dans lequel travaille Faye Wong, le Midnight Express.
Le film est construit sur le modèle du film choral, avec un petit nombre de personnages que l’on suit au hasard de leurs trajectoires et de leurs rencontres avec les autres protagonistes, que l’on se met à suivre à leur tour.
Un film fun, cool, rythmé, rock ‘n roll (Q. Tarantino)
Chungking Express fait partie avec, plus tard, In the mood for love, 2046, My blueberry nights, d’un ensemble de films qui témoignent d’une fascination pour la ville et les paysages urbains, mais aussi la lumière et les couleurs citadines, en particulier de nuit. C’est un régal pour les yeux. Malgré sa facilité à tourner des films rapidement comme celui de ce soir, en écrivant le scénario au cours du tournage, Wong Kar Wai est réputé pour son travail du cadrage et de la photographie d’une précision toujours millimétrique. Rien n’est laissé au hasard, d’où ces plans à couper le souffle, où chaque chose tombe à sa place, dans des tableaux visuels à la composition rigoureuse : les surcadrages sont abondants (portes, fenêtres, objets redécoupent le plan et forment d’autres cadres dans le cadre). Wong Kar Wai a toujours travaillé avec le même directeur de la photo, Christopher Doyle, dont il emprunte aussi l’appartement en 1994 pour y loger le matricule 633, jusqu’à leur séparation pour My blueberry nights. Ce dernier signe la deuxième moitié de Chungking Express, tandis qu’Andy Lau, le chef opérateur sur le premier film de Wong Kar Wai (As tears go by en 1988) est chargé de la première moitié. La continuité de la photographie, malgré la présence de deux chefs opérateurs, est étonnamment maîtrisée.
Le film est régi par des thématiques résolument évocatrices de la jeunesse : la solitude au milieu de la foule et la recherche de contact humain dans cette jungle urbaine, la vitesse, la vie nocturne, la musique, la curiosité et l’ouverture à l’Autre. Les personnages partagent un rapport particulier aux objets, fétichisés ou non, et aux rites qui les accompagnent : les gestes, les rituels quotidiens sont essentiels ; la caméra capture tous ces petits riens avec une vraie finesse d’observation et une grande tendresse. Dans la continuité de ces symboles visuels forts et récurrents chez le cinéaste, on peut noter l’abondance des miroirs : « Wong Kar Wai brosse le portrait déchirant d’une jeunesse en quête d’identité (voir la multiplication des miroirs qui renvoient les personnages à leurs interrogations tout en démultipliant leurs reflets) sans se soucier des sempiternelles conventions psychologiques »[1]. La bande originale, dont vous serez sûrement familiers, est signée Michael Galasso (comme la musique magistrale d’In the mood for love), Dennis Brown, Dinah Washington, sans oublier la version cantonaise de « Dreams » des Cranberries, intitulée Dream Lover, par Faye Wong, ainsi que celle qui ne quittera pas la tête du spectateur jusqu’à la sortie, California dreaming par The Mamas and the Papas. Faye Wong, l’actrice qui joue la jeune serveuse du Midnight Express, est la seule personne du casting à venir d’un milieu extérieur au cinéma : c’est une star de la pop, déjà extrêmement populaire en Asie à l’époque. Toute ressemblance avec le choix de Norah Jones pour jouer dans My blueberry nights serait fortuite…
En tout cas, on se souviendra, le jour où notre serpillière est mouillée d’avoir trop pleuré ou que notre savon se laisse aller à perdre du poids, que ce ne sont peut-être là que les signes d’une présence mystérieuse et magique, et le début d’une grande histoire…
-Daphné.
[1] Philippe Rouyer, Positif n° 410, Avril 1995.