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Les Ailes du désir de Wim Wenders (mardi 17 décembre 2013, 20h30)


Bande-annonce du film.

Pour cette séance de Noël, venez (re)découvrir cette fable sur la nature humaine, la beauté de l'existence et l'amour. La séance sera suivie d'une intervention d'Alain Bergala, critique (notamment aux cahiers du cinéma) et maître de conférences honoraire à Paris III.


Durée : 128 minutes.
Noir et Blanc et Couleur.
Pays : Allemagne.
Année : 1987.
Avec : Bruno Ganz, Solveig Dommartin, Otto Sander.

Rapide synopsis : Des anges s'intéressent au monde des mortels, ils entendent tout et voient tout, même les secrets les plus intimes. Chose inouïe, l'un d'entre eux tombe amoureux. Aussitôt, il devient mortel. Un film sur le désir et sur Berlin, "lieu historique de vérité".

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Et pour résumer :

Rendez-vous le mardi 17 décembre 2013, 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm

pour voir et revoir
Les Ailes du désir
de Wim Wenders

Proposition d'analyse

Après une série de films réalisés aux États-Unis, notamment Paris, Texas (Palme d'Or à Cannes 1984), Wim Wenders revient dans son pays natal tourner Les Ailes du désir. Le titre original, « Der Himmel über Berlin », littéralement « le ciel au-dessus de Berlin », place Berlin comme l'un des sujets centraux du film, c'est un film sur cette ville et son histoire . Il pose la question de l'appartenance. Qu'est-ce être Berlinois, et plus généralement, qu'est-ce que l'identité allemande ? Les anges recueillent des fragments d'histoire, conservés dans les mémoires des habitants. Mais l’identité allemande passe aussi par la langue.

« Als das Kind Kind war... » Le film débute par ce poème de Peter Handke (qui a également écrit une partie des dialogues, notamment ceux des anges), lui donnant d'emblée une dimension poétique. Ces mots sont à la fois écrits sur un carnet et lus en voix off. Wenders rend à la langue allemande sa dimension poétique et philosophique, elle sera durant tout le film le véhicule des sentiments et de la réflexion. La poésie apparaît également par l'image ; Wenders reçoit le Prix de la mise en scène à Cannes 1987 pour ce film. Les plans sont particulièrement travaillés, les effets de lumière et de contrastes, orchestrés par le directeur de la photographie Henri Alekan particulièrement beaux.


Temporalité et intemporalité

La première partie du film oppose l'intemporalité des anges à la temporalité des adultes. Les anges sont caractérisés par la continuité ; continuité temporelle, mais aussi de leur connaissance, de leur activité cognitive, de leur perception et de leur présence. Les hommes en revanche sont montrés dans la discontinuité de l'espace, du temps et des actes. Le film montre simultanément la continuité et discontinuité : les plans sont des fragments de vies humaines, reliés par les mouvements de caméra et la bande-son, témoignage de la perception continue des anges.

Les mouvements de caméra, lents et doux, très étudiés, souvent en hauteur, montrent le regard des anges. Plusieurs fois, la scène commence par le point de vue subjectif d'un ange, avant qu'il n'entre dans le cadre, transformant le point de vue de l'ange en celui du spectateur. La caméra agit de la même manière que l'ange, elle est sa conscience et possède tous ses pouvoirs. Les anges n'ont pas d'action matérielle, ils ne sont que des témoins ; leur activité consiste à « attester le spirituel, rien que le spirituel chez les gens » (Damiel). Ils témoignent des instants de grâce, de beauté dans le quotidien. Leur perception ne se fait qu'à distance, à travers la vue et l'ouïe. Ils ne disposent pas des autres sens, trop matériels. Ils ne distinguent pas non plus les couleurs, trop matérielles. L'espace est pour eux continu, ils ne sont pas affectés par la segmentation de la ville, incarnée par le Mur de Berlin. De même, leur perception du temps est continue, ils se souviennent de tous les moments qui précèdent.

Les hommes en revanche sont montrés dans leur discontinuité, dans leur isolement. Ils sont pris entre des murs de logements exigus, segmentant l'espace et le temps. Même lorsqu'ils sont plusieurs dans le même espace, ils sont isolés les uns des autres par leurs propres pensées. Leur temps est discontinu, borné par la mort, qui survient brutalement et leurs actions quotidiennes sont une suite d'éléments ponctués de temps morts. Lorsque Damiel devient humain, le point de vue devient également humain, la caméra adopte des qualités humaines. Les mouvements se font plus saccadés, le cadre devient dynamique, variant suivant les actions des personnages.

Il existe malgré tout des liens entre anges et humains. Les enfants tout d'abord, qui sont capables de percevoir les anges. Pour Wenders, les enfants sont capables de porter un regard neuf sur les choses, et perçoivent en continuité, en cela ils se rapprochent des anges. Le récit est également une ouverture sur l'intemporel à travers le personnage du conteur, Homer. Certains lieux sont propices à l'intemporel, et échappent à la discontinuité propre à l'homme : la bibliothèque, le no man's land, le cirque, et la salle de concert. Ce sont des espaces vastes, ouverts, non bornés, qui s'opposent aux appartements exigus.


L'incarnation

Le passage de Damiel de son existence d'ange à celle humaine est brutal. Sa première expérience est un choc : l'armure qui lui tombe sur la tête. Du point de vue technique, le passage est marqué par l'apparition de la couleur et du bruit : couleurs vives de la fresque peinte sur le Mur, et bruit de l'hélicoptère. Sa transformation s'effectue pendant la traversée du Mur de Berlin, quand Cassiel le porte. C'est la dernière fois qu'il peut traverser un obstacle immatériel. Mais cette transformation était annoncée dans la première partie du film.

Dès le début du film, Damiel ne se satisfait pas de son existence d'ange, il voudrait acquérir une matérialité, nouer des relations, « être salué, ne serait-ce que d'un signe de tête ». Il récite plusieurs fois le poème sur l'enfance, qui évoque la joie des sensations qu'il ne peut pas éprouver. La rencontre avec Peter Falk, ancien ange, qui lui décrit les joies de l'expérience humaine, nourrit ce désir d'être. Mais c'est la rencontre de Marion, la trapéziste, qui détermine son choix d'une vie humaine. Même avant sa matérialisation, il a entrepris de se rapprocher d'elle : à la première rencontre il est à côté du projecteur, au-dessus d'elle, il est ensuite à mi-hauteur dans les gradins, puis sous elle, sur la piste du cirque. Ils se rencontrent en rêve, et elle l'appelle : « je voudrais que tu restes près de moi ».

Damiel humain se heurte à la matérialité, fait l'expérience des obstacles, du mouvement, mais aussi du temps, quand il découvre que le cirque à quitté le terrain vague. Il découvre les sensations, le goût du sang, du café, les couleurs, la joie de marcher, de siffloter. Pour la première fois, il doit deviner que Marion est au concert, il est dans le doute, l'incertitude. L'alternance des scènes en couleur et noir et blanc, témoignage des points de vue respectifs de Damiel et Cassiel, souligne les nouvelles possibilités de perception de Damiel. La scène du concert de Nick Cave en est un exemple. Damiel appréhende pleinement les effets de changements de couleur des projecteurs, alors Cassiel ne voit que son ombre se déplacer sur un mur.

L'histoire de Damiel correspond au processus de création d'un film, le choix d'une histoire, d'une temporalité parmi une multiplicité de possibles. Damiel veut se créer une histoire, et c'est le film lui-même devient une histoire par le passage du noir et blanc à la couleur. Cette impression est renforcée par le « nous sommes embarqués » de Marion et le texte « à suivre », comme un feuilleton. La triple dédicace à Ozu, Truffaut et Tarkovski n'est pas anodine, ce sont trois réalisateurs qui parviennent à réconcilier le narratif avec la beauté picturale. Le cirque (nommé en hommage à Henri Alekan), est également une métaphore pour la création cinématographique. Wenders raconte qu'avec Les Ailes du désir, il voulait filmer à hauteur d'homme. Son but est le même que celui de l'ange : abolir la distance, ce qui est un des enjeux de l'art moderne. Il se considère trop loin des choses, à un niveau trop intellectuel, mais cherche à parvenir tout de même à ressentir le monde sans barrières, à aller au plus près des gens et choses, à raconter des histoires.


«  Je sais maintenant ce qu'aucun ange ne sait. »

Face au temps, à l'espace, à l'amour, à la vie en général, le film présente trois postures, trois façons de donner du sens à la vie ; Nicole Everaert-Desmedt [1] les rapproche des trois modes peircéens d'appréhension des phénomènes. Il y a celle des anges, faite de spiritualité, de réflexion, dominée par l'esprit, l'intellectualité. Celle des adultes, dominée par la matérialité et les sentiments, et celle des enfants, centrée sur l'instantanéité. Loin de les séparer, le film montre comment des postures peuvent (et doivent) s'imbriquer. La rencontre finale entre Damiel et Marion est annoncée par la chanson de Nick Cave, « From her to eternity ». La scène montre le double mouvement de l'intemporalité vers la temporalité pour Daniel, et de la temporalité vers l'intemporalité pour Marion, qui leur permet d'atteindre ensemble l'instantanéité. Le film affirme la nécessité du spirituel, du désir de sens, figurés par les anges et dans le même temps l'importance des relations entre les hommes et les femmes, de l'amour, de l'amitié et de l'importance de vivre les joies et passions de l'amour.

Fortsetzung folgt.

-Arthur

[1] Nicole Evarert-Desmedt, Un film qui donne des ailes au spectateur : à propos des Ailes du désir de Wim Wenders, Nouveaux actes sémiotiques, 32-33 1994, PULIM