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Le Goût de la Cerise de Abbas Kiarostami (mardi 19 novembre 2013, 20h30)


Bande-annonce du film.

Cette semaine place au cinéma Iranien avec ce road movie lent et métaphorique. À l'Kiarostami aborde un sujet tabou dans la société Iranienne et offre au gré des rencontres du protagoniste une multitude de points de vues ethniques ou culturels sans mépris ni jugement à posteriori.
À l'issue de la séance aura lieu une discussion avec Stéphane Goudet, critique de cinéma et maître de conférences à Paris-I et Sébastien Thibault, éditeur de la revue en ligne Denise Labouche.


Durée : 99 minutes.
Couleur.
Pays : Iran, France.
Année : 1997.
Avec : Homayoun Ershadi, Ahdolrahman Bagheri, Safar Ali Moradi .

Rapide synopsis : Un homme d'une cinquantaine d'années cherche quelqu'un qui aurait besoin d'argent pour effectuer une mission assez spéciale. Au cours de sa quête, il rencontre dans la banlieue de Téhéran un soldat, un étudiant en théologie et un gardien de musée, vivant à la limite de la marginalité. Chacun va réagir à sa proposition de façon différente.

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Et pour résumer :

Rendez-vous le mardi 19 novembre 2013, 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm

pour voir et revoir
Le Goût de la Cerise
de Abbas Kiarostami

Proposition d'analyse

Le réalisateur

Abbas Kiarostami naît en 1940 à Téhéran. Il étudie à la faculté des Beaux ­Arts de Téhéran avant de se lancer dans une carrière de graphiste avec la réalisation d'affiches, de films publicitaires et de génériques de films. En 1969, il participe à la création d'une structure publique de création de films en Iran, le Kanun. Cet institut soutient dès ses débuts la Nouvelle vague iranienne, produisant notamment les films de Mehrjui, Naderi, Beysai, et Kiarostami lui­ même. Il débute sa carrière de réalisateur par des courts métrages tels que Le Pain et la Rue (1970), Le Passager (1974) et Couleurs (1976). Après la révolution islamique de 1979, l'État cherche à islamiser l'ordre social. Kiarostami refuse l'exil et parvient à maintenir une indépendance au Kanun. C'est dans ce contexte que ses films commencent à être diffusés à l'étranger, tels Où est la maison de mon ami ? (1987) et Close up (1990). À partir de 1994 avec Au travers des oliviers, il coproduit ses films en France. Sa palme d'or au Festival de Cannes 1997 pour Le Goût de la Cerise marque sa consécration internationale. Dans les années 2000, il réalise entre autre Ten (2002) (cf séance du Ciné-Club en 2003, en présence de Kiarostami !), Copie conforme (2010) et Like someone in love (2012), les deux derniers tournés et produits hors d'Iran.

Dès ses premiers films, il adopte un dispositif léger, privilégiant le plan-séquence, et cherche à enregistrer le réel. Un temps prisonnier d'une image de “réalisateur pour enfants” apolitique, il réalise plutôt des films avec des enfants que pour des enfants. Il utilise la jeunesse pour traiter de façon détournée des questions politiques, mais aussi développer une esthétique plus exigeante et innovante. Il aborde ainsi les thèmes de l'ordre, de la liberté individuelle et de la justice sociale ; selon lui, « c'est la norme qui doit s'adapter à la société et non la société à la norme ». Ses films sont condamnés officiellement par la république iranienne, jugés insuffisamment “islamiques”.

Le tabou du suicide

Kiarostami aborde dans ce film le sujet du suicide, tabou en Iran. Si le suicide est interdit par la loi islamique, il est également interdit d'aborder ce sujet. Loin d'être une apologie du suicide, le film cherche à lever ce tabou, et pour cette raison sa sortie en salle a été longtemps interdite en Iran. Le Goût de la Cerise explore la fragilité de la vie et se concentre sur son caractère précieux : le thème du suicide n'est pas un rejet de la vie mais permet de mettre en scène l'ambivalence du désir de vivre. L'œuvre se prête à plusieurs interprétations, étant à la fois un plaidoyer pour la vie et une prise de position en faveur de la liberté individuelle, y compris celle de se supprimer. Kiarostami décrit la fonction positive du suicide, qui ouvre un choix : « Mon personnage se dit “La vie est un choix et non une contrainte. Tant que la décision de se suicider est une possibilité, il reste un choix” ». Il ajoute, citant Cioran : « Sans la possibilité du suicide, je me serais déjà suicidé il y a quelques années. » Comme souvent, il use de la métaphore pour faire passer son message. Le goût de la cerise est-il celui de la mort espérée ou de la vie qui s'accroche ?

Construction alternée

Le film appartient au genre du road movie, le personnage central se trouve au volant de sa voiture, autour de laquelle on voit défiler visages et paysages. Mais ici les codes du genre sont renversés, la voiture tourne en rond et ne va nulle part. La voiture devient rail de travelling, boîte de cinéma dont les fenêtres sont des écrans et les passagers des spectateurs. Commence alors une alternance entre plans rapprochés, dans la voiture, et plans lointains, la voiture cheminant à travers des routes désertiques parsemées de grands arbres solitaires, la discussion continuant en voix off. Par cette juxtaposition entre lointain et proche, petit et grand, entre nous et lui, Kiarostami nous donne l'impression d'être dans la voiture tout en l'admirant. Nous sommes avec M. Badii, tout en étant coupés de lui. La scène de la cimenterie marque un tournant du film. La silhouette de l'homme se reflète dans un nuage de poussière, et s'efface peu à peu tandis qu'une pelleteuse retourne des gravats, à la fois symbole de construction et de destruction, d'ensevelissement et de déterrement. On traverse une sorte de pays fantôme, un décor de chantier et de décombres au milieu de la fumée. Après cette scène, M. Badii ne va faire que s'éloigner du monde des vivants. Les plans larges sont de plus en plus fréquents, nous ne le voyons plus qu'à travers un écran. Une distance toujours croissante se crée en nous et lui, le monde urbain s'éloigne en arrière-plan, tandis que M. Badii se fond dans le désert. La voiture qui serpente sur la route au milieu du désert figure le cours sinueux de la destinée humaine.

Simplicité narrative

La simplicité est le programme même du film. M. Badii demande aux gens qu'il croise de l'enterrer de la même façon qu'il demanderait son chemin. Le scénario est répétitif, la même scène avec la même forme de dialogue se répète trois fois, comme dans un conte. À aucun moment, les motivations de M. Badii ne sont explicitées, il semble simplement ne plus pouvoir supporter l'existence. Le film fait abstraction de toute psychologie, tout passe par le geste, la parole et l'image. Par cette simplicité, Kiarostami réalise un film qui fait plus que présenter les seuls faits, l'existence contient une part irrémédiablement fictive ; selon lui, « le mensonge est le seul chemin vers la vérité. »

Pour le critique Emmanuel Burdeau, la mise en scène du Goût de la Cerise procède d'une machinerie narrative kafkaïenne, permettant à l'auteur de montrer une fonction paradoxale mais primordiale de la croyance par rapport à la réalité : « Cela ne nous servirait donc à rien de savoir ce qui a pu pousser M. Badii à vouloir mourir, puisque tout cela n'est pas une affaire de motivation mais de croyance : pour que M. Badii meure, il faut d'abord que quelqu'un le croie suffisamment pour dire oui ; [...] Telle est la logique étrangement contournée des personnages kiarostamiens : seule la fiction rend possible la réalité, seule la fiction la rend obligatoire. De même que dans Le Procès la preuve de la culpabilité [...] tient tout entière dans le fait qu'un procès ait été instruit, de même chez Kiarostami, et pas seulement dans Le Goût de la Cerise, il faut toujours passer par une construction, imaginaire ou fictionnelle, pour arriver à une réalité. »

La dernière séquence conclut le film sans l'achever. Soulevant plus de questions qu'elle n'en résout, elle rappelle que rien n'existe sans quelqu'un pour le regarder.

Arthur.