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Shooting Dogs, de Michael Caton-Jones (mercredi 7 novembre 2012)


Bande-annonce du film Shooting Dogs.

Cette semaine, le ciné-club vous emmène au Rwanda, pendant les évènements tragiques de 1994 avec le film Shooting Dogs de Michael Caton-Jones. Rendez-vous en salle Dussane mercredi 7 novembre à 20h30 !

Printemps 1994. En seulement cent jours, un million de Rwandais Tutsi sont massacrés par leurs concitoyens Hutus, et le petit pays africain est transformé en charnier. La barbarie est inimaginable. Mais elle aurait pu être prévenue. L'ONU était là, et regardait. Elle regardait sans bouger. Au coeur de tout cela, un prêtre et son jeune acolyte seront forcés à jauger l'intensité de leur foi, les limites de leur courage et, enfin, de faire un choix. Rester auprès des leurs ou s'enfuir...

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Et pour résumer :

Rendez-vous le mercredi 7 novembre, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm

pour voir et revoir
Shooting Dogs
de Michael Caton-Jones

Shooting Dogs est un film-témoignage. Fondé sur des événements réels : l'abandon par les troupes internationales et onusiennes de 2000 réfugiés tutsis, rassemblés dans l’Ecole Technique Officielle de Kigali, le film se veut à la fois testimonial et commémoratif. Une manière de toucher du doigt l'horreur d'un drame encore trop peu mis en lumière par les média, et d'aider à la reconstruction de la mémoire collective du Rwanda. Par de nombreux aspects le film se rapporte au genre documentaire : une intrigue resserrée, la simplicité des plans, de la lumière et des costumes, la retenue, la pudeur même dans le traitement du drame contribuent à l'impression générale de réalisme. Dans Shooting Dogs, pas de grands violons larmoyants, même dans les moments les plus atroces. La tragédie s'accomplit en silence : seul le bruit des machettes fouettant dans l'air et s'abattant à coups réguliers vient en rompre la pesanteur. C'est cette pudeur qui confère au drame, finalement, cette impression d'effroyable banalité.

Le sombre fatalisme de Shooting Dogs ne manque pas de frapper, à la lumière d'un autre film contemporain traitant du même sujet : Hotel Rwanda. Là où Paul Rusesabagina ne cesse de remuer ciel et terre pour sauver les réfugiés tutsis, et où la fin du film offre malgré tout un message d'espoir, dans Shooting Dogs au contraire c'est l'impuissance fondamentale à pouvoir changer le cours des choses qui prévaut. L'accroche du film est éloquente à cet égard : « 1994, 800,000 killed in 100 days. Would you risk your life to make a difference? ». Non, pas un des Européens présents dans l’École ne risquera sa vie pour changer les choses, hormis Christopher, l'homme de foi, et encore son sacrifice, « la plus grande preuve d'amour », n'aura-t-il servi à rien. L'inertie générale est sensible dans le traitement des scènes: un bon nombre commence de la même manière, par un plan fixe sur un personnage seul, qui attend. Attendre, mais attendre quoi ? Les ordres de l'ONU, le secours des forces internationales, le salut divin peut-être. Retranchés dans l'Ecole Technique, leur refuge, leur prison, et finalement leur traquenard, les personnages se montrent essentiellement dépassés par la situation. Il n'y a pas jusqu'à la lourdeur du scénario, assez répétitif, qui ne rende compte de cette impuissance à pouvoir changer le cours des choses : chacune des sorties de l’École tentées par Christopher ou par Joe se solde par un échec, quel qu'en soit l'objet. Ironie suprême, c'est ceux-là même dont on attendait le salut, les militaires français accueillis en héros, qui entérinent définitivement la situation désespérée, en évacuant uniquement les Européens, et en abandonnant les Rwandais à leur sort.

Non seulement les actes mais aussi les paroles sont frappées d'impuissance dans ce film où les formules creuses et les expressions vides de sens servent d'alibi pour se dédouaner à bon compte. Ainsi le capitaine Charles Delon, chef des troupes onusiennes présentes dans l’École, ne cesse de se retrancher derrière la distinction entre « observer la paix » et « faire respecter la paix ». Ainsi cette conférence de presse à la fin du film, où Dee Dee Myers, porte-parole de la Maison Blanche à l'époque, s'embourbe péniblement dans la distinction entre « génocide » et « actes de génocide ». Toute l'absurdité de la rhétorique onusienne culmine dans cette scène-clé (à l'origine du titre) où Christopher demande si les chiens que les militaires de l'ONU s'apprêtent à abattre pour des raisons sanitaires « ont ouvert le feu ». Selon les termes de leur mandat en effet, les troupes onusiennes n'ont le droit de tirer que si on leur a préalablement tiré dessus. « Si vous tirez sur les chiens c'est que les chiens vous ont forcément tiré dessus d'abord » conclut Christopher, avec une logique implacable. Ainsi, pendant que les Blancs ( car c'est bien d'une séparation Blancs/Noirs qu'il s'agit ici, en veut pour preuve la scène, mi-burlesque mi-tragique, où un expatrié européen, de couleur noire, se fait refouler du camion de rapatriement par un militaire français, le prenant pour un Rwandais) se retranchent derrière leurs grandes formules abstraites et coupent les cheveux en quatre, les Noirs se font hacher menu, dans l'indifférence générale.

Quel regard porter sur le film à la lumière du postcolonialisme ?

Le début de Shooting Dogs déroule joyeusement bon nombre de clichés sur la rencontre de l'homme Blanc avec l'Afrique : Joe Connor décrit à sa mère, en riant, « la joyeuse cohue qui règne dans les rues de Kigali », avant de refuser les tripes en seau que tente de lui vendre un petit garçon. Un peu avant dans le film on le voit grimacer en découvrant à ses dépens la boisson locale (de la bière de banane), et s'exclamer sur la lenteur du rythme de vie africain (« Ben dis-donc faut pas être pressé dans ce pays !»). L'Afrique au début du film est donc telle que l'Européen se la figure : joyeuse, chaotique, écrasée de soleil, de bruits et de saveurs, bref clichée. Clichée également la propre vision que l'Européen se fait de lui-même. Joe Connor l'avoue à Rachel la journaliste : à son arrivée en Afrique il se rêvait en « héros de l'Arche Tiers-Monde », avant de se heurter de plein fouet, après l'Afrique carnavalesque, à l'Afrique cauchemardesque, celle de la barbarie, des viols, des meurtres à coups de machettes et de gourdins.

Tout le film opère donc une déconstruction systématique de ce mythe de l'homme Blanc sauveur de l'Humanité. Et c'est finalement Rachel qui, évoquant un reportage de guerre en Bosnie, tire la conclusion du film la plus atrocement juste : « Chaque fois que je voyais une femme bosniaque morte, une femme blanche, je me disais que ça aurait pu être ma mère. Alors qu'ici, ce ne sont que des Africains morts ». Au bout du compte on en revient toujours aux mêmes stéréotypes: l'Afrique c'est le continent maudit, ravagé par les maladies, les luttes tribales et l'arriération. L'Afrique, c'est l'altérité absolue, trop loin de nous pour qu'elle nous émeuve. Et c'est peut-être là que réside tout le paradoxe de ce film, dont l'équipe se targue dans les génériques de début et de fin d'avoir traité du génocide rwandais en allant tourner sur place, avec la collaboration de survivants et de proches de victimes du drame qu'il raconte. Malgré la caution morale dont il se prévaut, Shooting Dogs ne raconte pas l'histoire de ces Rwandais : il se restreint presque exclusivement au point de vue des Européens présents sur place. Ce sont eux les véritables protagonistes du récit, qui illustrent chacun à leur manière un type de positionnement possible face au drame : le cynisme (Rachel), l'idéalisme déchu (Joe), le pragmatisme (le Capitaine Charles Delon), l'irréductible foi (Christopher). Au contraire, les Rwandais eux sont essentiellement rejetés dans l'ombre de l'anonymat, transformés en figurants d'un drame dont ils sont pourtant les victimes véritables. Même les personnages quelque peu mis en lumière : Marie, son père Roland, Eda la femme enceinte... manquent singulièrement de consistance. La parole leur est peu donnée, et surtout leur ressenti est essentiellement occulté. Comme le souligne Erwan Darbois : «La douleur des personnages rwandais ayant perdu un proche dans cette tuerie est complètement occultée, comme si le génocide n'existait que pour servir de base aux questionnements des héros (Blancs). » Autre grande faiblesse du film: le silence fait sur les véritables raisons du génocide rwandais. Tout au long de l'histoire, les personnages ne cessent de souligner à quel point le drame dépasse en horreur et nouveauté ce qu'ils ont pu voir auparavant. « Je n'ai jamais vu ça » devient ainsi le leitmotiv du sentiment d'impuissance ressenti face au déferlement de violence, présenté comme purement irrationnel. Pas un mot sur l'ancienne présence coloniale belge et les germes de discorde qu'elle sema à dessein entre les Tutsi et les Hutus, cherchant à diviser pour mieux régner. Pas un mot, quand Hotel Rwanda rappelle dès le prélude que le génocide n'est tout de même pas né de rien. Par quelque côté que le film prenne l'histoire tragique du Rwanda, il semble donc manquer son objet, en éludant les tenants et les aboutissants d'un drame complexe, aux racines profondes.

Shooting Dogs n'est-il alors, en définitive, qu'un film sur la mauvaise conscience occidentale ? Non. Reste bien sûr la force intrinsèque du sujet et du drame horrible qui se déroule sous nos yeux. Reste l'indignation profondément morale que le film soulève en nous. Quand à la fin du film, Marie demande à Joe pourquoi il les a abandonnés, celui-ci répond : « J'avais peur de mourir ». Aussi simplement que cela. Finalement, c'est la profonde pitié que nous inspire ce tableau de la faiblesse humaine qui fait la force de ce film un peu maladroit. Shooting Dogs n'est peur-être pas le film le plus abouti sur l'histoire du génocide rwandais, et par maints aspects il manque de finesse et d'allant. Mais c'est un film profondément humain, dans le sens où il interroge, en chacun de nous, le sens du choix humain face au tragique.