Attention !

Ce site n'est plus mis à jour !
Merci de vous rendre sur notre nouveau site :
http://www.cineclub.ens.fr

La nuit américaine, de François Truffaut (mercredi 21 novembre 2012)


Bande-annonce du film

Pour inaugurer le cycle "Méta !", le ciné-club vous présentera la semaine prochaine la Nuit américaine de François Truffaut. L'histoire d'un réalisateur moyen (joué par Truffaut lui-même), qui s'apprête à réaliser un film moyen au titre ringard : Je vous présente Paméla. C'est l'aventure d'un tournage racontée par François Truffaut, avec drôlerie et tendresse : acteurs capricieux (Jean-Pierre Léaud), scripts aguichantes (Nathalie Baye)... Un film émouvant, plein d'autodérision et d'enthousiasme qui occupe une place centrale dans l'histoire de la Nouvelle Vague française ! Rendez-vous en salle Dussane, mercredi 21 novembre à 20h30 (tarifs 4€ / 3 € COF) !

Si vous souhaitez être tenu-e-s au courant de nos prochaines séances, abonnez-vous à notre liste de diffusion [cine-info] ou ajoutez-nous en amis sur Facebook.

Et pour résumer :

Rendez-vous le mercredi 21 novembre, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm

pour voir et revoir
La nuit américaine
de François Truffaut

La nuit américaine, ouverture du cycle Méta

Le film de François Truffaut est celui que nous avons choisi pour ouvrir ce nouveau cycle. Amis de la mise en abyme, du métadiscours et de toutes ces jolies figures de style, mais aussi vous, qui avez regardé six fois intégralement les bonus de la version collector du Seigneur des Anneaux, voici trois films offrant un éclairage qui ne manque jamais de plaire aux cinéphiles : les coulisses et les étapes de la construction - plus ou moins réussie et facile - d’un film. Le temps de ce cycle, nous allons effacer l’illusion cinématographique, faire virer l’axe de la caméra de 180°, et nous fixer sur les équipes techniques et artistiques qui se sont lancées dans l’aventureuse entreprise de la création. Puisqu’il n’est plus question, dans ces œuvres, de voir le résultat fini, mais le processus qui y conduit, le spectateur assiste non seulement à la fabrication, mais est aussi témoin - et La nuit américaine ne fait pas exception - de tous les obstacles, des difficultés et des montagnes à renverser pour arriver à la production que l’on a l’habitude de voir tranquillement depuis nos fauteuils.

Une comédie distanciée

L’expression « la nuit américaine » fait référence au procédé cinématographique, désormais un peu obsolète, qui consiste à tourner de jour des scènes censées se passer la nuit. En brisant donc d’emblée, dès le titre, l’illusion cinématographique, Truffaut nous emmène en voyage dans l’univers qui se cache derrière sa caméra. Incarnant lui-même avec humour un réalisateur relativement médiocre, il dévoile les dessous de son industrie.

Mais il ne faut pas s’y méprendre, La nuit américaine n’est pas un documentaire. De même que le stratagème de la nuit américaine n’est pas une vraie nuit, mais un effet de nuit obtenu à l’aide d’un filtre, Truffaut revendique le filtre fictif de son film, en commençant par renommer tous ses personnages, à commencer par lui, « Ferrand », réalisateur du film dans le film. Je vous présente Paméla n’a pas d’existence en-dehors de La nuit américaine. La réalité de la réalisation et des tournages, il la fait passer par une histoire fictive, interrogeant les frontières entre la fiction et le documentaire : on peut relater une tranche de vie et de réalité vécue par le biais de la fiction, comme un documentaire est toujours construit, monté, et finalement jamais objectif. Cette idée n’est pas originale, mais le réalisateur a tenu à ce que les spectateurs ne puissent pas l’ignorer et se laisser prendre au piège qui consisterait à regretter que « ça ne soit pas un vrai documentaire et par conséquent, pas la réalité ». Truffaut a donc profité de tous les procédés de la fiction pour nous faire passer un bon moment en même temps qu’il nous entraîne de l’autre côté de l’écran.

C’est pourquoi le film est avant tout, dans mes souvenirs et à chaque fois que je le revois, une comédie très réussie puisqu’elle nous parle de l’amour du cinéaste pour son médium, mais avec un regard distancié, un aspect parodique et ludique, des clins d’œil dans lesquels se reconnaîtront les professionnels du cinéma et qui divertiront les amateurs. C’est une bouffée d’air qu’une œuvre de cinéma d’auteur qui se permet des libertés face au sérieux des premières productions de la Nouvelle Vague. C’est l’autodérision qui fait la force de La nuit américaine. Le film, en évoquant aussi d’emblée l’influence de ses confrères outre-atlantique, que Truffaut ne cherche pas à nier – il réalise plusieurs films « à l’américaine », comme Tirez sur le pianiste -, montre encore la distance que prend le réalisateur face à un cinéma puriste qui se voudrait uniquement « à la française ». La nuit américaine est donc destiné non seulement à tous les inconditionnels du cinéaste, mais aussi à ceux qui se méfient parfois de l’étiquette « Nouvelle Vague », ou du nom de Jean-Pierre Léaud à l’affiche – car, sans vouloir émettre un propos hérétique, ces cinéphiles-là existent aussi. Pour nous faire rire et nous faire comprendre la complexité des enjeux de ce type de projet, le film mêle plusieurs niveaux de narration. L’humour réside aussi bien dans les scènes tournées (où l’on met en valeur les blocages de certains acteurs, leurs tics incontrôlés, qui poussent à refaire la scène maintes fois, leurs attitudes parfois détestables, leurs caprices et leurs lubies), que dans les scènes où la vie privée vient se mêler au jeu et compliquer encore tout l’édifice. Comment faire jouer un chat ? Que faire des histoires sentimentales et/ou sexuelles qui viennent compliquer toutes les relations au cours du tournage ? Où trouver une motte de beurre à l’ancienne en un temps record ? C’est tous ces problèmes auxquels vont devoir se confronter les personnages et surtout le pauvre Ferrand. On se demande alors comment produire le tour de force qui conciliera toutes les sensibilités pour arriver à l’harmonie nécessaire au bon déroulement du tournage. Tout le film, je crois, réside dans les mots de Truffaut : « Avant de commencer un tournage, je désire surtout faire un film qui sera beau. Dès que les premiers ennuis surgissent, je dois réduire mon ambition, et je me prends à espérer simplement qu’on arrivera à terminer le film ».

Une grande bataille de la critique

Historiquement, le film se situe marque une rupture signifiante, celle qui brouillera définitivement Jean-Luc Godard et François Truffaut, qui jusqu’ici avaient collaboré et se vouaient une admiration réciproque. Ainsi Truffaut a-t-il par exemple rédigé une partie du scénario d’À bout de souffle, le premier film de Godard, qui eut le succès que l’on connaît en 1960, juste un an après la palme d’or de Truffaut pour Les 400 coups.

Si le nom même du mouvement découle de la scène de clôture de ce film, où l’on voit le petit Antoine Doinel face à l’océan, Godard estime que son confrère a trahi, avec La nuit américaine, la pensée qui les liait jusqu’alors. Tandis que Truffaut reste plus léger, renouant avec le cinéma populaire, Godard veut faire des films politiques et engagés.

Je rapporte ici certains de leurs propos, qui ne manquent pas de sel. François Truffaut ne croyait pas si bien dire lorsqu’il affirmait de son ami : « Il est rapide comme Rosselini, malicieux comme Sacha Guitry, musical comme Orson Welles, simple comme Pagnol, blessé comme Nicholas Ray, efficace comme Hitchcock, profond, profond, profond comme Ingmar Bergman et insolent comme personne ».

Jean-Luc GODARD, lettre à François TRUFFAUT, fin mai 1973 :

« Probablement personne ne te traitera de menteur, aussi je le fais. Ce n’est pas plus une injure que fasciste, c’est une critique, et c’est l’absence de critique où nous laissent de tels films, le tien et ceux de Chabrol, Ferreri, Verneuil, Delannoy, Renoir, etc. dont je me plains. 

Tu dis : les films sont de grands trains dans la nuit, mais qui prend le train, dans quelle classe, et qui le conduit avec le “mouchard” de la direction à ses côtés ?

Ceux-là aussi font les films-trains. 

Et si tu ne parles pas du Trans-Europ, alors c’est peut-être celui de banlieue, ou alors celui de Dachau-Munich, dont bien sûr on ne verra pas la gare dans le film-train  de Lelouch. 

Menteur, car le plan de toi et de Jacqueline Bisset l’autre soir chez Francis [un restaurant situé place de l’Alma] n’est pas dans ton film, et on se demande pourquoi le metteur en scène est le seul à ne pas baiser dans LA NUIT AMÉRICAINE. J’en viens à un point plus matériel. J’ai besoin, pour tourner “Un simple film”, de cinq ou dix millions de francs. Vu LA NUIT AMÉRICAINE, tu devrais m’aider, que les spectateurs ne croient pas qu’on ne fait des films que comme toi. Si tu veux en parler, d’accord. » 

Réponse de François TRUFFAUT, juin 1973 :

« Je te retourne ta lettre à Jean-Pierre. Je l’ai lue et je la trouve dégueulasse.  C’est à cause d’elle que je sens le moment de te dire, longuement, que selon moi tu te conduis comme une merde.

Je me contrefous de ce que tu penses de LA NUIT AMÉRICAINE, ce que je trouve lamentable de ta part, c’est d’aller, encore aujourd’hui, voir des films comme celui-là, des films dont tu connais d’avance le contenu qui ne correspond  ni à ton idée du cinéma ni à ton idée de la vie.

A mon tour de te traiter de menteur. Au début de “Tout va bien”, il y a cette phrase : “Pour faire un film, il faut des vedettes.” Mensonge. (…)

Karmitz, Bernard Paul ont besoin de vedettes, pas toi, donc mensonge. (…)

Je n’ai plus rien éprouvé pour toi que du mépris, quand j’ai vu dans VENT D’EST la séquence “comment fabriquer un cocktail Molotov”, et qu’un an plus tard tu t’es dégonflé quand on nous a demandé de distribuer LA CAUSE DU PEUPLE DANS LA RUE AUTOUR DE SARTRE. L’idée que les hommes sont égaux est théorique chez toi, elle n’est pas ressentie. Il te faut jouer un rôle et que ce rôle soit prestigieux. J’ai toujours eu l’impression que les vrais militants sont comme des femmes de ménage, travail ingrat, quotidien, nécessaire.Toi, c’est le côté Ursula Andress, quatre minutes d’apparition, le temps de laisser se déclencher les flashes, deux, trois phrases bien surprenantes et disparition, retour au mystère avantageux.

Comportement de merde, de merde sur son socle… Pendant une certaine période, après Mai 68, on n’entendait plus parler de toi ou alors mystérieusement : il paraît qu’il travaille en usine, il a formé un groupe, etc., et puis un samedi, on annonce que tu vas parler à RTL. Je reste au bureau pour écouter, pour avoir de tes nouvelles en quelque sorte ; ta voix tremble, tu parais très ému, tu annonces que tu vas tourner un film intitulé LA MORT DE MON FRÈRE, consacré à un travailleur noir malade qu’on a laissé mourir au sous-sol d’une fabrique de téléviseurs et, en t’écoutant, malgré le tremblement de ta voix, je sens :

- 1) que l’histoire n’est pas exacte, en tout cas trafiquée ;

- 2) que tu ne tourneras jamais ce film.

Je me dis : si le type avait une famille et que cette famille allait vivre désormais dans l’espoir que ce film soit fait ? (…)

Fumiste. Dandy. Tu as toujours été un dandy, quand tu envoyais un télégramme à de Gaulle pour sa prostate, […] quand tu traitais Chauvet de corrompu parce qu’il était le dernier, le seul à te résister, dandy quand tu pratiques l’amalgame : Renoir-Verneuil, blanc bonnet et bonnet blanc, dandy encore quand tu prétends que tu vas montrer la vérité sur le cinéma, ceux qui le font obscurément, mal payés, etc. […] Si tu veux en parler, d’accord. »

Dès lors, je laisse au spectateur le loisir de décider du parti qu’il prendra, s’il y a lieu de trancher d’un côté ou de l’autre.

-Daphné.