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Un Prophète, de Jacques Audiard, avec le co-scénariste Thomas Bidegain (mercredi 17 octobre 2012)


(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Soirée d'ouverture du cycle "Prison"

Et quelle soirée ! Le ciné-club aura le plaisir de projeter le film de Jacques Audiard, Un Prophète, en présence de son scénariste récompensé aux Césars, Thomas Bidegain. Ce sera l'occasion de voir (ou revoir) ce film auréolé de succès (Grand Prix du Festival de Cannes, 9 Césars dont Meilleur film français), de discuter avec M. Bidegain et de lancer notre cycle cinématographique autour de la prison. Nous vous attendons en masse mercredi 17 octobre à 20h30, en salle Dussane (tarifs : 4€ / 3€ COF) !

Rapide synopsis : Condamné à six ans de prison, Malik El Djebena ne sait ni lire, ni écrire. A son arrivée en Centrale, seul au monde, il paraît plus jeune, plus fragile que les autres détenus. Il a 19 ans. D'emblée, il tombe sous la coupe d'un groupe de prisonniers corses qui fait régner sa loi dans la prison. Le jeune homme apprend vite. Au fil des "missions", il s'endurcit et gagne la confiance des Corses. Mais, très vite, Malik utilise toute son intelligence pour développer discrètement son propre réseau...


Bande-annonce du film

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Quelques photos de la rencontre avec Thomas Bidegain

Synopsis !


(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

France, 2009, Couleurs, 149 min.
Réal. Jacques Audiard.
Scé. Jacques Audiard, Thomas Bidegain, Nicolas Peufaillit, Abdel Raouf Dafri
Int. Tahar Rahim, Niels Arestrup, Adel Bencherif

Cinquième long-métrage de Jacques Audiard, Un Prophète est un film couronné de lauriers. Grand Prix du Jury à Cannes en 2009, Prix Louis-Delluc la même année, neuf fois primé aux Césars en 2010 (meilleur film, meilleur réalisateur), il enregistre à sa sortie en salles plus d'un million d'entrées.

Succès fulgurant donc, pour ce film qui relève, comme le rappelle Jacques Mandelbaum1, d' « un genre peu et mal servi par le cinéma hexagonal : le film de prison. A l'exception du Trou de Jacques Becker (1960), c'est le plus grand jamais réalisé en France ».

Film de genre, Un Prophète se réclame autant de l'esthétique des séries télévisées américaines (Prison Break, Oz...), avec ses rituels et ses passages obligés, qu'il prend des libertés avec les conventions. Inutile d'attendre d'Audiard un engagement du type film documentaire : dans Un Prophète, il est question de fantômes et de visions prémonitoires, et les épisodiques sorties de prison de Malik donnent lieu à de spectaculaires scènes d'actions extérieures, bien loin de tout prise de position réaliste. Surtout, Un Prophète est bien plus qu'un film sur la prison : c'est l'histoire d'un héros paradoxal, un roman d'éducation musclé, autant qu'une allégorie politique de notre société actuelle.

« L'irrésistible ascension d'un héros paradoxal »

Lorsqu'il entre en centrale pour purger une peine de six ans, Malik El Djebena (Tahar Rahim) est une page vierge. Une « nullité sociale », au sens où il n'existe nulle part. Petite frappe de 19 ans, d'origine maghrébine, analphabète, sans famille, sans ami, sans soutien, il est à la merci de la violence qui règne en ces lieux, et ne tarde pas à tomber sous la coupe d'une mafia corse omnipotente, dirigée par César Luciani (Niels Arestrup), aux agissements couverts par des gardiens corrompus. Intronisé de force dans le groupe, à la suite d'un rite de passage sanglant, Malik endossera le rôle de bouc émissaire avant d'acquérir la confiance de César et de progressivement gagner en influence au sein de la centrale...

Comme l'affirme Audiard, le film raconte l'histoire « d'un jeune homme qui n'a pas d'histoire et qui va s'en écrire une sous nos yeux ». L'ascension fulgurante d'un héros, en deux heures et trente-cinq minutes. Mais un héros hautement paradoxal, dans la mesure où « Malik El Djebena est essentiellement un opportuniste, qui réinvente en milieu carcéral les règles du judo et les lois de Machiavel pour préserver, au prix fort, son intégrité : jouer l'intelligence contre la puissance, assumer sa propre abjection morale dans le crime et la trahison, utiliser la force de l'adversaire pour en triompher » (Jacques Mandelbaum). Pris dans la banalisation de la violence, c'est en assumant un à un ses actes immoraux que Malik trouvera progressivement sa place, de plus en plus assurée dans la voie du crime déshumanisé.

En même temps le film se refuse à tout jugement moral: si Malik est loin d'être un ange, il a au moins le mérite de montrer, en refusant de se plier aux codes de la « voyoucratie », en faisant toujours passer sa liberté individuelle avant une quelconque assignation identitaire, la manière dont les faibles peuvent résister aux forts.

D'autre part, le film ne cesse d'interroger le rôle de la prison dans la construction de sa personnalité. Comme le rappelle Jacques Audiard: « L'histoire d'Un prophète dépeint quelqu'un qui va accéder à une position qu'il n'aurait jamais atteinte s'il n'était pas allé en prison. Le paradoxe se situe là ». Un roman d'éducation donc, mais façon Audiard, c'est-à-dire d'une plaisante et anarchisante amertume : la prison comme école de la vie, dans une société gangrenée par la violence et l'injustice. Comme le déclarait le réalisateur à l'Agence France Presse : « il y a une ironie qui m'a semblé suffisamment intéressante pour en faire un film : ce garçon doit tout à la prison et je ne pense pas que ce soit un cas particulier » (Jacques Mandelbaum).

Pas de jugement moral du héros donc, mais pas d'idéalisation non plus. Ainsi, concernant le choix du titre, Audiard tient à en souligner la dimension ironique : « Pour moi, il relève de l’ironie, du sobriquet qu’on donne, comme ça, à un type […] Le film aurait aussi pu s'appeler Little Big Man par exemple, confie-t-il. Ce titre agit comme une injonction, il oblige à comprendre quelque chose qui n'est pas spécialement développé, que c'est juste un petit prophète, un nouveau prototype de mec ». Malik est un Prophète, mais dans le sens où il annonce l'émergence d'un nouveau type de criminel, ne se laissant réduire à aucune catégorie, et en plein essor dans une société moderne privée des repères signifiants habituels (travail, religion, famille, etc.).

« La prison comme miroir »

Si Audiard refuse de verser dans la dénonciation type documentaire de l'univers carcéral, il n'empêche que pour lui, le cinéma a toujours son mot à dire sur une certaine réalité: «  Le cinéma a une fonction de regard sur le réel ». D'où son intérêt pour la prison en tant que reflet d'une société nouvelle, multiethnique et polyglotte. Ainsi dans Un Prophète, la centrale est une véritable tour de Babel, où l'on passe indifféremment du corse à l'arabe ou au français, comme un reflet de notre société contemporaine où la langue de référence n'existe plus.

D'où sa volonté également de faire émerger des visages nouveaux dans le paysage cinématographique français, en choisissant exclusivement, à l'exception de Niels Arestrup, des acteurs inconnus : «  Nous voulions fabriquer des héros à partir de figures que l'on ne connaît pas, qui n'ont pas de représentation iconique au cinéma, comme les Arabes par exemple. En France, le cinéma a tendance à les mettre en scène uniquement dans des représentations naturalistes et sociologiques. Or, nous voulions faire un pur film de genre, un peu à la manière du western qui a mis en lumière des visages que l'on ne connaissait pas et qui les a transformés en héros ».

On peut enfin, comme le note Jacques Mandelbaum, « lire dans ce huis clos carcéral une parabole à vocation plus générale. Non pas un plaidoyer sur l'actualité des prisons françaises, mais un miroir tendu à une société de plus en plus éclatée, en butte à la montée des revendications communautaristes et de l'esprit clanique ». Un point de vue confirmé par Audiard lui-même : « Ce qui m’intéressait aussi, c’était de traiter la prison comme une métaphore de la société. Au bout d’un moment, le dedans et le dehors de la prison deviennent la même chose et ce qu’on apprend dedans sert dehors ». Dans ce monde de la corruption généralisée en effet, où les gardiens corrompus le disputent aux avocats véreux, la frontière entre la prison et l'extérieur se fait de plus en plus perméable, au point que la centrale devient l'exact reflet, mais inversé, de la société.

Finalement, il n'est pas interdit de voir dans la prison d'Un Prophète une sorte d'hétérotopie, telle que définie par Foucault dans une conférence de 1984, « Des espaces autres ». Les hétérotopies, ces lieux dans lesquels « on place les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée  […] les maisons de repos, les cliniques psychiatriques […] bien entendu aussi, les prisons, […] supposent toujours un système d'ouverture et de fermeture qui, à la fois, les isole et les rend pénétrables […] et ont, par rapport à l'espace restant, une fonction [...] parmi lesquelles celle de créer un espace d'illusion qui dénonce comme plus illusoire encore tout l'espace réel, tous les emplacements à l'intérieur desquels la vie humaine est cloisonnée ».

« Désillusionner le réel », en déconstruisant nos présupposés sur le système carcéral et judiciaire, voilà peut-être en définitive ce à quoi nous invite Un Prophète, film engagé malgré lui.

Juliette