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Mysterious Skin, de Gregg Araki (mercredi 21 mars 2012)





Bande annonce de Mysterious Skin, de Gregg Araki


Autre époque, autre style. En clôture de notre cycle La prostitution au cinéma, nous vous proposons de partir dans l'univers dérangé de Gregg Araki, ici dans une de ses réalisation les plus conventionnelles. Nous nous devons de vous avertir que ce film a été interdit au moins de 16 ans lors de sa sortie en salle et qu'il comporte des scènes difficiles.


A huit ans, Brian Lackey se réveille dans la cave de sa maison, le nez en sang, sans aucune idée de ce qui a pu lui arriver. Sa vie change complètement après cet incident : peur du noir, cauchemars, évanouissements... Dix ans plus tard, il est certain d'avoir été enlevé par des extraterrestres et pense que seul Neil Mc Cormick pourrait avoir la clé de l'énigme. Ce dernier est un outsider à la beauté du diable, une petite frappe dont tout le monde tombe amoureux mais qui ne s'attache à personne. Il regrette encore la relation qu'il avait établie avec son coach de baseball quand il avait huit ans. Brian tente de retrouver Neil pour dénouer le mystère qui les empêche de vivre.


Et pour résumer:




Rendez-vous le mercredi 21 mars, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Mysterious Skin
de Gregg Araki
Film interdit aux moins de 16ans lors de sa sortie en salles. 
 
C'est donc à Mysterious Skin que revient la charge de fermer ce cycle consacré à la prostitution au cinéma. Après deux films emblématiques de l'oeuvre de deux grands cinéastes — Belle de Jour de Buñuel et Mamma Roma de Pasolini —, voici donc un long métrage qui, dirait-on, ne fait pas le poids. Gregg Araki est ce réalisateur contemporain, réputé être un cinéaste au mieux queer, au pire « pour ados », dont les références mélangent David Lynch, les séries télévisées et le rock shoegaze. Réalisé en 2004, le film ouvre dans la carrière du réalisateur une nouvelle période, qui participe à l'élaboration des codes du cinéma américain indépendant. Tout en traitant toujours de ses obsessions que sont la jeunesse et la jouissance sexuelle, Mysterious Skin aborde ces thèmes de façon inédite dans l'oeuvre d'Araki, que ce soit dans la tonalité du film ou dans son aspect plastique et cinématographique.

  
Le film n'aborde pas la prostitution de Neil en tant que telle, mais la considère comme un syndrome, comparable en cela avec l'obsession de Brian pour les extraterrestres et les OVNI. L'été de leurs huit ans est le liant qui a brièvement réuni les deux personnages. Pour Neil, c'est le souvenir d'un premier amour avec son coach de baseball. Pour Brian, c'est l'amnésie partielle mais totale de cinq heures de sa vie  : « The summer I was 8 years old, five hours disappeared from my life ». Voilà ce qui sert de point de départ à l'histoire du film. Je dis bien « sert », car malgré la narration plutôt conventionnelle du film, Araki n'a jamais pris très au sérieux ce qui faisait « une bonne histoire » — je pense à la fin de Nowhere, ou encore dans Kaboom à l'enchaînement invraisemblable de clichés narratifs, que ce soient les rebondissements ou les révélations incessantes, dans les dix dernières minutes du film. Certains trouveront peut-être que le mystère de l'été n'en est pas un, et que le spectateur comprend rapidement ce qui s'y est passé. Et ils auront raison. Si ce n'est la fin du film, très écrite et qui joue clairement son rôle de clôture, ce n'est pas le récit qui importe dans Mysterious Skin, mais bien l'absence de récit  : l'histoire des personnages s'est perdue et arrêtée pendant ce fameux été d'enfance. Depuis, Neil et Brian n'ont pas avancé. L'esprit de Brian est obnubilé par cette amnésie de cinq heures, et il ne veut regarder que vers le passé. Neil, quant à lui, n'envisage plus rien pour l'avenir. Pour l'heure, il préfère se prostituer à des hommes bien plus âgés que lui. Rapport avec le passé et rapport avec le traumatisme guident la construction de Mysterious Skin.

Ces rapports s'incarnent dans des personnages, et plus encore, dans le corps de Joseph Gordon-Levitt qui interprète l'adolescent, devenu prostitué de son plein gré. Désormais acteur bankable, notamment dans la comédie romantique américaine « indé », Gordon-Levitt a donné avec son interprétation de Neil son rôle le plus impressionnant. Le personnage de Brian est moins mémorable  : enquêteur paumé qui pense traquer des extraterrestres, il reste seul à faire progresser la narration par ses découvertes, qui sont autant d'illusions jusqu'à sa rencontre avec Neil. Pour ce dernier, aucune histoire. Le spectateur le suit d'abord dans sa mémoire, ensuite avec ses amis, puis avec ses clients. Certes, les scènes de prostitution finissent par s'effacer devant une autre forme d'horreur sexuelle, mais le prostitué reste le personnage par excellence du film.

Sexe et jouissance sont presque toujours associés dans les films d'Araki. Ils ne le sont jamais pour les personnages de Mysterious Skin. Brian est un être asexuel, qui rejette toutes les avances et ne se comporte pas comme « un homme, un vrai », la figure de la virilité ordinaire étant incarnée par son père. Quant à Neil, il ne trouve aucun plaisir dans ses relations sexuelles avec des hommes mûrs. Au contraire, c'est une pulsion de mort qui semble le mener jusqu'aux bordels les plus inquiétants de New York. Et quand sexe et jouissance se rencontrent, ce n'est pas là où le spectateur l'attend. La violence de certaines scènes de sexe est bien sûr à l'origine du malaise du spectateur, mais c'est véritablement l'absence de sens de l'acte sexuel qui fait de Mysterious Skin un film troublant.

Malgré une réalisation plus conventionnelle — plus sage, diront certains — qu'à l'accoutumée, on retrouve ce qui fait la marque d'Araki  : la musique typiquement shoegaze (la BO est d'ailleurs supervisée par un membre de l'emblématique groupe Cocteau Twins), la scène d'ouverture qui fait écho à celle de Nowhere, les clichés et les codes des séries télévisées qui s'incarnent dans les acteurs de série (Elisabeth J. Shue de Retour vers le futur, Michelle Trachtenberg de Gossip, Billy Drago qui a incarné le méchant de dizaines de téléfilms) et qu'Araki s'approprie toujours, sans pour autant chercher à masquer ses influences. Certains y trouveront des manies superficielles, d'autres une stylisation réussie de la pop culture.

Sorte de Mala Educación (on pourrait d'ailleurs comparer Araki et Almodóvar sur plus d'un point) à l'américaine, Mysterious Skin semble nous parler d'adolescents en perdition, de prostitution et de traumatisme. Mais je crois qu'Araki aborde avec une intelligence et une justesse de ton rares ce qui fait le véritable mystère de ce film  : le plaisir et le désir d'une peau contre une autre.


Gabriel