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Belle de Jour, de Luis Buñuel (mercredi 7 mars 2012)


Bande annonce de Belle de Jour, de Luis Buñuel

Pour l'ouverture de notre nouveau cycle La prostitution au cinéma, nous vous proposons de découvrir le classique de Luis Buñuel Belle de Jour avec l'immense Catherine Deneuve dans le rôle principale et sulfureux d'une bourgeoise choisissant de se prostituer.

Epouse d'un jeune interne des hopitaux, Pierre, Severine n'a jamais trouvé un véritable plaisir auprès de lui. Un des amis du ménage, play-boy amateur de call-girls, lui glisse un jour l'adresse d'une maison clandestine. Troublée, Severine ne résiste pas à l'envie de s'y rendre et ne tarde pas à devenir la troisieme pensionnaire de Mme Anais. Elle y est appelée Belle de jour car ses visites surviennent chaque après-midi de deux à cinq heures.

Et pour résumer:



Rendez-vous le mercredi 7 mars, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Belle de Jour
de Luis Buñuel


Séverine Serizy (Catherine Deneuve) est une jeune bourgeoise, belle, épouse d’un médecin (Jean Sorel). Dans un rêve, elle se voit conduite par son mari dans un endroit isolé, attachée contre un arbre, fouettée par les domestiques auxquels elle est finalement livrée. Traumatisme ? Prémonition ? Fantasme qu’elle n’ose s’avouer ? La voilà pourtant qui cherche à assouvir certains désirs en se livrant, sous le nom de « Belle de jour », à la prostitution dans une maison close. Devenue une « fille » de Madame Anaïs (Geneviève Page), elle y retrouve l’ami de son mari qui lui avait parlé de la maison (Michel Piccoli), et rencontre une petite frappe (Pierre Clémenti) qui, prise de désirs jaloux, décide de s’en prendre à son époux…

Lorsque Buñuel réalise Belle de Jour, en 1967, son retour en France paraît déjà définitif. La précédente escale de son parcours, l’Espagne, s’était terminée par le scandale de Viridiana (1961). Les autorités ecclésiastiques, dressées contre sa dérision de la Cène, l’avaient finalement poussé à émigrer. La France, qui a vu ses premières œuvres surréalistes dans les années 1920, lui fournit la matière de ces nouvelles créations. Que l’on pense au Journal d’une femme de chambre (1964), où il adaptait, avec Jean-Claude Carrière, le roman d’Octave Mirbeau. Il retrouve Carrière pour mettre à l’écran Belle de Jour de Joseph Kessel, auteur reconnu, résistant et membre de l’Académie française. Remarquablement, Buñuel se confronte à une certaine culture classique française. Cela prend un sens singulier, au moment où il retrouve un ton extrêmement acerbe contre la bourgeoisie.

 

« Il faut une singulière dose de bonne volonté pour croire que les classes dirigeantes sont respectables… » Le jeune Buñuel, abreuvé d’esprit surréaliste, s’en prenait dès ses premières œuvres à la bourgeoisie. Incapable d’imaginaire, de rêve, de sentiments désintéressés, elle est condamnée à des soucis matériels, au culte de la bonne réputation, mais aussi à la frustration sexuelle, à l’ennui, à l’indifférence. On le retrouve dans une importante partie de l’œuvre de Buñuel. « Il faut une singulière dose de bonne volonté pour croire que les classes dirigeantes sont respectables, disait Célestine - Jeanne Moreau au vieux Rabour, lisant Huysmans, dans Le Journal d’une femme de chambre, et que les classes domestiques sont dignes d’être soulagées ou plaintes ». Dans Belle de Jour, Buñuel se livre à une étude clinique du masochisme. Des songes de Séverine aux scènes particulières que le client joué par Francis Blanche demande aux prostituées de Madame Anaïs, l’avilissement physique et sexuel paraît incapable de répondre aux fantasmes. Pourtant la débauche et partout, entre deux et cinq heures de l’après-midi pour Séverine, ce qui lui donne son nom, chez l’ami de la famille, le libertin Husson, dans les mots, dans les rêves. Ce masochisme, Buñuel nous l’avait montré déjà, chez les saints (Viridiana) et ceux qui, comme madame Monteil dans le Journal, respectent jusqu’au bout la morale chrétienne. Le voilà dans les mœurs de la bourgeoisie. 

Consubstantiel à la vie bourgeoise. Non pas celle des années 1930, provinciale, du Journal, mais celle des années 1960. Ces bourgeois, vieilles familles ou nouveaux riches, s’ils restent attentifs à leur réputation, sont modernes, libres, dynamiques. Mais les objets design, les tenues nouvelles (faites par Yves Saint-Laurent), l’art moderne qui hante les maisons (que Buñuel a fréquenté lors de son exil en tant qu’employé du Modern Art Museum de New York entre 1938 et 1942) ne les distraient pas d’un ennui qui sourd de fantasmes non avoués. Une culture esthète qui s’enferme sur elle-même, se passionne pour ses territoires sombres, indicibles. « Le cinéma paraît avoir été inventé pour exprimer la vie du subconscient » Depuis ses films surréalistes, jusqu’à Belle de Jour et Le charme discret de la bourgeoisie (1972), on ne peut douter que Buñuel sois en accord avec sa propre maxime. Ici, l’imaginaire se confond inextricablement et sans distinction possible avec le réel. Tout repère fixe est définitivement perdu. Comme les spectateurs, les personnages eux-mêmes semblent hésiter au seuil d’un rêve éveillé. Ainsi de Pierre Clémenti, subjugué par Belle de Jour, qui se comporte avec une passion si violente qu’on le croirait égaré dans l’irréel. Peut-il faire autrement ? Elle a le visage et la voix de Catherine Deneuve… Ce voyou représente un dévoiement fantasmatique, la confrontation de la culture, de la beauté, avec la nature brutale. Il faudrait évidemment faire un sort à « l’érotisme chaste » du film, comme le disait Buñuel. Celui-ci qualifiait sans problème Belle de Jour de « pornographique », mais où réside cette pornographie ? Moins dans les images, que l’on pense aux plans fixes sur le corps dévêtu et glacial de Séverine, que dans le sujet. Belle de Jour est un lent apprentissage à jouir des plaisirs de la sexualité, de la domination. Catherine Deneuve n’est-elle pas vierge, elle qui dit aimer son mari « au-delà du plaisir »… Les perversions suggérées si finement par Buñuel dépassent sans doute ce qui était dicible à son époque. La leçon est plus terrible encore, notamment pour l’équilibre de l’inconscient bourgeois. Chaste, Séverine se reproche avec aigreur son infidélité, la voilà qui devient une parfaite épouse en devenant Belle de Jour. Husson refuse de coucher avec elle, par amour pour son ancienne vertu (pour elle ?), qu’il construit aussi comme objet de fantasme. Il n’existe pas de pureté dans les rapports humains. Les mouvements moraux n’existent pas au-delà d’un monde de désirs inavoués. Il n’y a pas d’état heureux stable sans dégradation de soi . Voilà le véritable scandale de Belle de Jour, à un moment, le dernier peut-être, où l’on ne pouvait pas tout montrer. Peu d’années plus tard, le cinéma allait revendiquer une liberté totale. En 1967, faire le choix d’un tel sujet supposait une vraie rhétorique de l’image, de la suggestion. Un homme de la génération de Buñuel ne pouvait pas entièrement lever le voile sur ce qui n’est pas montré dans le film, et de là viennent les fantasmes, les rêveries, les incompréhensions, les insatisfactions qui restent présents autour de Belle de Jour. 

 Carl-Loris Raschel