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Le synopsis de Fleurs d'équinoxe

Un nouveau chef d'oeuvre de Marie :
Fleurs d’Equinoxe (Higanbana), 1958, Yasujirô Ozu
Scénario : Kogô Noda et Yasujirô Ozu d'après le roman de Ton Satomi.
Avec : Shin Saburi (Wataru Hirayama), Kinuyo Tanaka (Kyioko), Ineko Arima (Setsuko), Miyuki Kiwano (Hisako), Chishû Ryû (Shukichi Mikamu), Yoshiko Kuga (Fumiko). 2h00.

Premier film en couleur
Fleurs d’Equinoxe est un film clef dans la filmographie d’Ozu. D’abord, parce qu’il accepte enfin de tourner en couleur, alors qu’il annonçait douze auparavant que « La couleur ça va de temps à autres, mais si vous ne voyez que cela, c’est comme ne manger que du tendon (crevettes ou poissons fris, et riz), au bout d’un moment vous en avez assez » (Ozu adore les métaphores culinaires !). Il utilise même ce nouveau procédé technique admirablement au service de son propre style, puisqu’il s’intéressait déjà auparavant « aux tons et à l’atmosphère », ainsi qu’aux détails (aux coloris) du décor (la théière rouge !). Il inaugure ainsi le cycle de la demi-douzaine de films en couleur qui achèvent en apothéose la carrière d’Ozu et sont communément considérés comme ses chefs d’œuvre (Bonjour, Fin d’automne, Dernier Caprice, le Goût du Saké…).
On observe en outre une évolution au niveau du traitement du sujet. Comme dans ses films précédents (du moins à partir de Printemps tardif, 1949), Ozu traite de la famille japonaise, la critique sans la dénoncer. Mais si dans certains films précédents, il s’intéressait à des jeunes filles plus ou moins en révolte, et se considéraient d’une manière général plus proche des enfants et/ou des jeunes mariés, et ce avec souvent un point de vue quelque peu mélodramatique (comme dans Crépuscule à Tokyo de 1957), ici Ozu se revendique « plus proche des parents » : il choisit de traiter avec simplicité et distanciation les contradictions internes à un père de famille japonais, entre tradition et modernité, entre ouverture d’esprit et autoritarisme.
Carrière d’Ozu

Né en 1903, Ozu découvre le cinéma avec Chaplin, Murnau et surtout, Lubitsch. Il réalise son premier film en 1927 (Sabre de pénitence), sur lequel il collabore pour la première fois avec son scénariste de toujours, Kôgo Noda. Ses premiers films sont fortement marqués par les influences occidentales et le modèle américain (le film noir, le film de gangaster, comédie de mœurs).
Mais au fil des années, son style s’affine et devient de plus en plus nippon. Il adopte la caméra basse à hauteur d’homme (plan tatami), les décors traditionnels, le fondus et les faux raccords, et renoncent aux mouvements d’appareils – dans Gosses de Tokyo (1932) par exemple. Ses thèmes se réduisent également et se concentrent sur la famille, les conflits de générations, la nostalgie, et plus généralement sur tous les éléments de la société japonaise et de la vie quotidienne nippone : l’école, la maison, le bureau.
Yasujirô Ozu meurt en 1963 le jour de ses 60 ans quelques mois après la sortie de son dernier film Le goût du saké. Cinéaste de la famille, Ozu ne se maria peut-être jamais, mais il mena une vie aussi simple que ses personnages.
L’histoire
Wataru Hirayama est cadre supérieur, vieillissant, et père de famille plein de contradictions. Il soutient en apparence les mariages d’amour, se veut « moderne » mais interdit à sa fille Setsuko d’épouser l’homme qu’elle aime, Masahiko Taniguchi (scandalisé que la demande en mariage n’ait pas été faite dans les règles). Mais Setsuko tient tête à son père : « Je ne peux donc pas vivre heureuse ?...Je réussirai à vivre heureuse ! ». Chacun des partis s’entête dans sa position, mais la situation est finalement dénouée d’une part par les conseils des rieurs amis d’Hirayama, et par la ruse d’une chipie amie de Setsuko, Yukiko, deux agents qui désamorcent le potentiel tragique et mélodramatique de la situation, et qui mettent le père de famille devant ses contradictions, l’obligeant à accepter la modernité dans sa propre famille.

On voit donc que ce film traite du sujet favori d’Ozu : la famille japonaise, aux prises – mais sans violence car le cinéma d’Ozu est douceur, coulée, simplicité et délicatesse – avec la modernisation et la mutation de la société, le problème de l’obéissance dûe aux parents…
« Exactement comme un peintre qui s’évertue à dessiner la même rose ».
C’est ainsi que se définit lui-même Ozu en 1962. Il a trouvé son sujet, et le traite et le retraite inlassablement dans tous ses films, il en explore toutes les facettes, sans jamais pour autant faire le même film, chacun constituant une entité délicieuse.
De fait, dans les derniers films d’Ozu, il s’agit presque toujours de mariage, mariage d’amour ou mariage arrangé ? Avec qui se marier ? Se marier ou rester avec ses parents ? Se remarier ou se consacrer à ses enfants ? On a aussi des personnages récurrents, principaux ou secondaires : la jeune fille opposée à son vieux père, mais aussi : la cousine désagréable, le collègue de bureau rigolo, l’employé à la retraite qui noie son chagrin dans le saké… – et leurs noms varient peut-être autant que le célèbre fond de jute du générique !
Et de fait Ozu tournait chaque nouveau film en continuation ou réaction du précédent, comme le montrent les notes de Koga Noda. Et en même temps, il y a toujours une possibilité de surprise, qu’Ozu nous ménage par la construction elliptique de son récit, en particulier via le faux-raccord.
Humour et Ironie
Ozu a toujours un regard ironique et amusé sur l’existence, la société et ses contradictions. Le traitement de ces thèmes potentiellement dramatiques se fait toujours sur le mode de l’humour, et de la distanciation. On a par exemple dans Fleurs d’Equinoxe la scène introductive dans la gare qui permet d’introduire le thème du film (le mariage) avec distanciation et humour. Les dialogues sont souvent drôles : Ozu recourt souvent à des remarques décalées, des affirmations mal interprétées, ou à des situations triangulaire où deux personnes se moquent d’une tierce personne qui ne comprend pas (« toutes des filles je suppose ? » demande-t-on d’un ton moqueur à une mère de famille un peu forte).
L’image-temps
Ozu est l’un des premiers cinéastes que Deleuze analyse dans l’Image-temps. Il considère en effet que, sans qu’il y ait influence ni d’une part ni de l’autre, on peut considérer Ozu comme un cinéaste néo-réaliste dans le sens où il s’attache à rendre des situations optiques et sonores pures.
De fait, en dépit des intrigues qui s’attachent toujours aux temps forts d’une vie, on ne distingue jamais de temps-forts à proprement parler qui s’opposeraient à des temps-faibles dans les films d’Ozu, toutes les situations se succèdent uniformément et passent, y compris les célèbres scènes de larmes (comme ici celles du père après le mariage de sa fille). Pour Ozu, la vie est simple et l'homme ne cesse de la compliquer en "agitant l'eau dormante". En dépit de l’agitation provoquée par le heurt entre l’ordinaire américain et l’ordinaire japonais, les quelques plans fixes sur la splendeur de la Nature (comme ici lors de la journée en famille à la campagne) viennent restituer la quotidienneté, la régularité, l’immuabilité d’une vie un temps bouleversé par un conflit, un mariage, une mort. Les personnages et l’histoire trouvent l’apaisement dans la contemplation de la Nature.
Mais Ozu s’applique également à contempler en plan-fixe les lieux anonymes de Tokyo, déconnectés, autonomes du reste du film, vides de personnages ou de mouvements – ainsi que des intérieurs de maison – ou des objets, des natures mortes (théière, pot de fleurs). « Les espaces d’Ozu sont élevés à l’état d’espaces quelconques, soit par déconnection, soit par vacuité ». Ces plans, ces espaces vides, « atteignent l’absolu comme contemplations pures », nous montrent « un peu de temps à l’état-pur ». Il s’agit de « montrer la forme immuable de ce qui se meut ». On atteint alors « une image-temps directe, qui donne à ce qui change la forme immuable dans laquelle se produit le changement », « la nature morte est le temps, car tout ce qui change est dans le temps, mais le temps ne change pas lui-même » - c’est-à-dire des « images pures et directes du temps ».

Reconnaissance posthume
Le public français ne découvre Ozu qu'en 1978, avec Le Voyage à Tokyo, qui a un retentissement considérable. Ozu devient alors un réalisateur aussi apprécié que Kurosawa ou Mizoguchi. Dans les années 1980, sortent Le Goût du saké, Dernier caprice (1961) ou Herbes flottantes (1959).
Ozu a influencé de nombreux cinéastes d'aujourd'hui comme Wim Wenders, Aki Kaurismaki, Paul Schrader ou Hou Hsiao-hsien.
Marie Pierre
Sources :
Ozu, Donald Richie, éditions Lettre du blanc, 1980
Gilles Deleuze, L’image-Temps, chapitre 1, 2e paragraphe, 1985
Livret de Kiju Yoshida du Coffret arte-video de « Cinq films en couleur d’Ozu »
Ciné-club de Caen