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On connaît la chanson - le synopsis par Marie

On connaît la chanson
Réalisateur : Alain Resnais
Scénario: Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri
Sortie : 1997.
Durée : 2h00
Avec : Pierre Arditi (Claude Lalande), Sabine Azéma (Odile Lalande), Jean-Pierre Bacri (Nicolas), André Dussolier (Simon), Agnès Jaoui (Camille), Lambert Wilson (Marc Duveyrier), Jane Birkin (Jane), Jean-Paul Roussillon (le père d'Odile et de Camille), Jean-Pierre Darroussin (le "jeune homme" au chèque)
Récompenses : Prix Louis-Delluc en 1997. Césars du cinéma 1998 : Meilleur film, Meilleur réalisateur (Alain Resnais), Meilleur Acteur (André Dussolier), Meilleur second rôle masculin (Jean-Pierre Bacri), Meilleur second rôle féminin (Agnès Jaoui), Meilleur scénario (Bacri et Jaoui).

Dès la première image, en dépit des apparences, tout est dit. Une pièce ornée de croix gammées, Von Choltitz en uniforme à son bureau, Hitler au bout du fil. Pendant un instant, on se croit dans un film de reconstitution, projeté dans les grandes obsessions des premiers films d’Alain Resnais : comment filmer la Deuxième Guerre Mondiale, les morts de masse ? Comment filmer après ça ? Mais nous sommes détrompés rapidement : Von Choltitz, de l’air le plus sérieux du monde, entonne la fameuse chanson de Joséphine Baker : « J’ai deux amours ». Le principe est posé : Alain Resnais va jouer à assembler une situation et une chanson ultra-connue, pour provoquer le rire, prendre de la distance par rapport à la réalité, ne rien prendre au sérieux, pas même le tragique de l’histoire. Le présent, comme le passé (de la deuxième guerre mondiale, des chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru…) qui sous-tend ce présent et y réapparaît de temps en temps (Camille et Simon sont passionnés d’Histoire), reliés entre eux par une rapide série de travelings verticaux, sont contaminés par cette vision à la fois désenchantée et amusée du monde. Une leçon de vie, en somme. Alain Resnais nous propose donc un objet cinématographique expérimental, drôle, léger, ludique, plein de contrastes burlesques et d’humour.

L’histoire
L’histoire, en somme, n’a rien que de très banale, l’intérêt réside donc essentiellement dans la juxtaposition des situations et de ce jeu musical (Alain Resnais réitèrera ce jeu musical dans Pas sur la bouche en 2003). Un couple routinier, Odile et Claude, sur le point d’acheter un nouvel appartement. Un homme plongé dans des incertitudes familiales, médicales et professionnels, qui cherche à louer un appartement et sympathise avec son agent immobilier, Simon – Alain Resnais utilise ce métier apparemment banal et des plus matériels comme révélateur des aspirations, des frustrations ou des hésitations du client comme de l’agent, comme on le verra également dans Cœurs (2006). Des antipathies (entre la thésarde Camille et l’hypocondriaque Nicolas), des sympathies (entre Odile et Nicolas, entre Odile et Marc), des amours ouvertes (entre Camille et Marc) ou cachées (entre Simon et Camille) qui se font et se défont - « ça s’en va et ça revient » comme le conclue Claude François. Les relations entre les personnages se déploient progressivement, en labyrinthe, à travers une série de scènes, en une construction assez théâtrale. Les protagonistes sont en réalité tous reliés, et se retrouvent alors tous ensemble pour la pendaison de crémaillère d’Odile Lalande, pour les explosions et les révélations du dénouement, et le bouquet final musical.

Chansons
Le film est donc émaillé de chansons tirées du répertoire de la chanson française populaire. Le procédé est drôle et ludique, et inspiré de Denis Potter, un scénariste anglais connus en particulier pour trois séries à succès passées à la télévision anglaise ("Pennies from Heaven" (1978), "The Singing Detective" (1986) et "Lipstick on your Collar" (1993)), dans lesquelles des personnages réalistes se mettent à entonner les chansons de leur époque en play-back. Ce procédé permet de parler à un arrière-fond commun au spectateur, qui lui fait « classer » (ou déclasser ?) en quelque sorte la situation et les sentiments du personnage en les rangeant dans un topos littéraire/musical (chanson d’amour naissante, chanson de séparation, chanson d’amitié…). Il s’agit à la fois de provoquer le rire par le décalage, le plaisir de reconnaître une chanson, et de décrire avec une certaine justesse une réalité sous-jacente (comme lors de la scène de séduction entre Camille et Marc). On retrouve ici un thème cher à Alain Resnais, celui de l’illusion et des apparences : la chanson, d’une part, déréalise la situation et met en évidence l’illusion cinématographique, et d’autre part la chanson va derrière l’apparence sociale, la démasque. On peut souligner enfin que, paradoxalement, ce procédé permet de voir la qualité du jeu de l’acteur, qui doit travailler son mime et ses mimiques, et avoir l’air le plus naturel du monde en entamant une chanson qui est le plus souvent inattendue et en décalage (il arrive qu’une femme (souvent Sabine Azéma, qui est particulièrement forte à ce jeu !) chante avec une voix d’homme et vice versa !).

Le réalisateur
Alain Resnais, qui vient de sortir son dernier film, Les Herbes Folles, est né en 1922. Il a donc eu une très longue carrière, et il est à noter que c’est un auteur qui se renouvelle, qui a chaque film se donne des défis, des contraintes. Montrer l’horreur des camps d’extermination dans Nuit et brouillard, faire voir la bombe d’Hiroshima sans y avoir été dans Hiroshima, mon amour, explorer le labyrinthe contradictoire de la mémoire dans L’Année dernière à Marienbad, présenter un film expérimental au sens strict (comparant ses personnages à des souris en cage !) dans Mon oncle d’Amérique, faire du théâtre filmé dans Mélo, faire jouer des dizaines de personnages et de situations différentes par deux acteurs seulement (Pierre Arditi et Sabine Azéma) dans Smoking/No Smoking, etc.… Alain Resnais aime se donner des principes, des contraintes, s’y tenir et en même temps jouer avec, les détourner. C’est ainsi que le film s’achève sur une question : Jean Paul Roussillon regarde un disque, mais ne chante ni ne dit même la chanson en question : « Vous la connaissez cette chanson ? ». C’est ainsi qu’il arrive également que des acteurs disent le texte d’une chanson quand celle-ci est trop attendue ou trop connue (Non je ne regrette rien). Il a joué en particulier massivement sur ce décalage entre texte dit et texte chanté dans la bande annonce original du film.
Contemporain de la Nouvelle Vague, Alain Resnais a toujours su rester indépendant et développer dans ses films ses propres centres d’intérêt. On peut distinguer plusieurs étapes dans son œuvre : tout d’abord la période des courts métrages documentaires comme Guernica ou Nuit et brouillard. Puis la période 1959-1980 jusqu’à Mon oncle d’Amérique où dominent de grandes interrogations historiques (comment filmer après Auschwitz ? après Hiroshima ? après la Guerre d’Algérie ?) et psychologiques (la mémoire, l’inconscient), où il collabore avec de grands écrivains (Duras, Alain Robbe-Grillet, Jorge Semprun…). Puis à partir de 1983, les films d’Alain Resnais sont plus axés sur l’intime, avec des intrigues plus simples, et une forte présence de la théâtralité. Selon Thierry Jousse, quelle que soit la période et le film, en dernière instance, il s’agit pour Alain Resnais de saisir « cette mélodie secrète, cette part de la réalité qui nous échappe et qui nous hante ».
Sur ce film, Alain reprend l’équipe qu’il a constitué progressivement au cours des années 80, qui réunit l’ancienne (la script est la même depuis Hiroshima !) et la nouvelle génération du cinéma français (celle des années 90) : l’équipe de scénaristes-acteurs Bacri-Jaoui, les acteurs Pierre Arditi et Sabine Azéma...

Clin d’œil
On voit donc qu’Alain Resnais est un auteur d’une grande jeunesse, curiosité, inventivité, qui se renouvelle sans cesse, renouvelle ses thèmes, pour tendre vers plus de légèreté. Le film par exemple est cousu de clins d’œil amusants, dont l’un des plus remarquables est celui-ci : dans l’une des dernières scènes du film, Agnès Jaoui et André Dussolier sont sur le balcon et admirent la vue, et leur dialogue (« Ce n'est pas le Panthéon ? », « Non, c'est la Bourse du Travail ») fait directement référence à Zazie dans le métro de Raymond Queneau. Comme Raymond Queneau dans Zazie, Alain Resnais propose ici un film sur Paris, qui joue sur les lieux, les situations, les quiproquos (la scène du restaurant, la rencontre entre Marc et Camille…), la musique, le langage, les prononciations et les voix – de fait, beaucoup de chansons datent des années 30 et font entrer dans le champ du film et le présent de Paris, le passé des voix gouailleuses du Paris d’autrefois. D’où la temporalité très particulière des séquences chantées : elles sont à la fois présentes et passées, elles sont spécifiques à la situation représentée, presque suscitées par la situation précise, et en même temps elles surgissent d’un fonds commun préexistant de chansons françaises populaires – comme Raymond Queneau qui tisse sa prose d’expressions toutes faites ou de citations détournées.

Gaieté et désenchantement
Mais cette gaieté semble être également une façon d’approcher, de ne pas trop prendre au sérieux le vide de ces vies. Il ne faut pas oublier que la dépression est l’un des thèmes centrales du film – elle est commune à Camille, Simon et Nicolas. Les amours malheureuses aussi : les couples qui se délitent (celui de Jean-Pierre Bacri et Jane Birkin, celui de Pierre Arditi et Sabine Azéma, celui de l’inconnue du restaurant), les couples vides, sans amour ni point commun comme celui de Camille et Marc Duveyrier… Le vide des conversations et de la sociabilité, symbolisé par ces méduses qui volent au-dessus des têtes des personnages lors de la dernière séquence du film. La superficialité des relations entre collègues de bureau, l’hypocrisie, l’absence de romantisme, l’incompréhension de la beauté inutile de l’Histoire ou de l’art (Simon est-il agent immobilier ou écrit-il des pièces pour la radio ?). Tout le film se déroule dans un hiver froid, beau, mais aussi un peu triste. De même, la théâtralité de la construction de chaque scène et de leur succession fait parfois de chacune de ces scènes, des dialogues et des lieux, un huis-clos oppressant. Les personnages se heurtent entre eux et errent dans le labyrinthe contradictoire de leurs désirs, de leurs frustrations, de leurs peurs, dont le gigantesque et labyrinthique appartement de la scène finale semble être la métaphore.

Marie Pierre

Bibliographie.
· Thierry JOUSSE : Alain Resnais compositeur de films, ed. Mille et une nuits, 1997
· Gilles DELEUZE, L'image temps, éditions de minuit, collection critique, 1985
· Gaston BOUNOURE, "Alain Resnais", ed. Seghers, coll cinéma d'aujourd'hui, 1974
· BENAYOUN, "Resnais arpenteur de l'imaginaire" - Etudes cinématographiques, n°64-68 et 100-103 (Robbe Grillet)
· Cinéma 80, n° spécial juillet-Aout 1980 – '"Hiroshima mon amour", 1959
· Avant-scène cinéma n°61-62 – "Providence", 1977, Avant-scène Cinéma n°195.