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Ciné-concert : le cabinet du Dr. Caligari, de Robert Wiene (mardi 11 décembre 2012)

C’est le retour d’un grand classique du ciné-club, le ciné-concert ! L’orchestre des Planches à musique interprètera des oeuvres de Modest Moussorgsky (Les tableaux d’une exposition, Une nuit sur le Mont Chauve) et Edvard Grieg (Peer Gynt suite pour orchestre n°1 et 2) sur le film muet de Robert Wiene, Le cabinet du docteur Caligari, classique du film d'épouvante et de l'expressionnisme allemand. L’histoire inquiétante d’un mystérieux docteur qui prédit le pire à un jeune étudiant…

Plus de renseignements sur le site des Planches à musique !

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Et voici le synopsis du film !

Allemand, 1919. Muet. 72 minutes.
Titre original : Das Cabinet der Dr. Caligari
Réalisateur : Robert Wiene.
Avec : Werner Krauss (Caligari), Conrad Veidt (Cesare), Lil Dagover (Jane), Friedrich Feher (Franz).

À ceux qui entendent toujours parler de l'expressionnisme allemand sans jamais vraiment savoir à quoi s'en tenir, le Cabinet du docteur Caligari offre un exemple parfait et outré du style caractéristique de ce courant pictural de l'Allemagne de Weimar. Salué comme le premier et le plus pur film expressionniste par le critique Rudolf Kurtz, Caligari piège son spectateur dans une architecture anguleuse et cauchemardesque, modelée et soulignée par un éclairage très contrasté. En résultent des décors brisés et biscornus, propres à diffuser l'atmosphère et l'état d'esprit paranoïaque qui s'empare des personnages, puis, à la lumière du dénouement, du spectateur lui-même. Sur ce point, pas de spoiler, je me tais et suis les conseils de Clouzot : "Ne soyez pas diaboliques, ne racontez pas ce que vous avez vu!".

Un univers cauchemardesque

Il s'agit dans l'expressionnisme de rendre l'image graphique, de dessiner un univers en résonnance avec l'intrigue : le malaise diffus et l'incertitude sont ici redoublés par l'univers agressif et perturbateur. L'atmosphère oppressante n'est pas uniquement créée par les arêtes du décor; la lumière, qui souligne la géométrie terrifiante des espaces et des architectures, contribue au trouble ambiant par des jeux d'ombres. Le jeu des acteurs lui-même est angulaire, inquiétant : les mouvements sont saccadés et réduits au possible, le regard est d'une grande importance, la démarche est biaisée. Les lourds maquillages dont sont affublés les visages des acteurs renforcent les contrastes d'éclairage et l'impact expressif de leur jeu. La désarticulation systématique de l'image, le cadrage frontal, les perspectives plates qui appuient l'orthogonalité des lignes sont destinés à faire apparaître l'essentiel. Entreprise de subversion esthétique, l'expressionnisme se réclame de l'héritage théâtral, comme en témoignent justement l'usage des décors et le jeu exagéré. La représentation n'est plus un décalque de la réalité, mais une création intégrale, révélatrice des perspectives faussées et bancales de l'Allemagne de 1919.

Les débuts du cinéma fantastique

Ce n'est pas uniquement sa forme extrêmement stylisée qui fait de Caligari le film initiateur et exemplaire d'un expressionnisme symptomatique de la peur collective qui règne sous la République de Weimar. Le thème des pulsions criminelles, le rôle central des tyrans, manipulateurs, hypnotiseurs, ou malades mentaux (on pense à la trilogie des Mabuse de Lang), et l'existence de doubles maléfiques nourrissent le cinéma allemand de l’époque, qui s'inspire du gothique et des thèmes du romantisme allemand auquel il avait déjà emprunté le clair-obscur. La passion de l'obscur, l'exacerbation de thèmes inquiétants et paranoïaques relèvent de la branche fantastique du Sturm unt Drang. Le motif du créateur et de sa créature en est également hérité, et inspirera tout une veine du fantastique, du Golem de Boese et Wegener, sorti un an après Caligari, aux personnages de Rotwang et Maria dans le Metropolis de Fritz Lang, réalisé en 1927. Conrad Veidt, qui interprète le personnage du somnambule Cesare, compose un jeu captivant, en harmonie avec les décors, fait de gestes saccadés, d'expressions tourmentées, de symétrie et de synchronisme dans les mouvements. Traversé de réminiscences de Caligari, le cinéma de Burton est ainsi proche de l'expressionnisme dans sa façon de maquiller et de faire jouer les acteurs, de façon très flagrante dans Edward aux mains d'argent par exemple. Le film de Wiene est donc le précurseur d'un genre.

Le cinéma comme projection mentale

Le récit filmique de est, de façon inédite, mis en abyme : Wiene explore les richesses de la structure en flash-back, renvoie le cinéma à sa dimension spectaculaire et son héritage carnavalesque, et surtout traite du mécanisme de l'hypnose, dont Roland Barthes soulignera dans En sortant du cinéma sa proximité avec la situation du spectateur plongé dans le noir d'une salle de projection. Maurice Ravel écrit de Caligari : "Le cinéma est enfin créé." La picturalité du décor se communique à l'ensemble des accessoires, et Caligari explore la représentation mentale que le narrateur se forme des événements cauchemardesques de la trame. L'onirisme que produit le mélange d'expressionnisme, de romantisme noir et de l'éclairage contrasté de Max Reinhardt confinent à la folie : forme et fond se confondent dans un film qui interroge dans son dénouement le rapport du cinéma au psychisme et à la réalité de la narration.

"De Caligari à Hitler"

La réflexion historique que propose le film, qui fait fonctionner la psychiatrie comme un symbole du pouvoir politique, reste ambiguë. Fait-il l’éloge de l’autorité, seule à même de rétablir l’ordre, là où le chaos s’est installé ? C’est ce qu’aurait tendance à montrer la version filmée, imposé par Erich Pommer et Robert Wiene contre l’avis des scénaristes. Ou bien, comme le défend Siegfried Kracauer dans De Caligari à Hitler, faut-il supprimer les rajouts et revenir au scénario original et aux intentions réelles des auteurs ? L’œuvre en serait alors radicalement différente, l’autorité toute puissante se révélant la seule détentrice de folie. Ce qui permet à Kracauer de voir en Caligari le premier d'une "procession de tyrans", manifestant un désir-terreur de la dictature et préparant sur le plan psychologique le terrain du nazisme. L'expressionnisme proposerait le reflet de la situation politique et économique désastreuse d'après la Grande Guerre. Le choc de la défaite, l’inflation dramatique et le sentiment croissant d’insécurité, les angoisses devant un avenir incertain font que la réalité semble s’être transformée en un cauchemar. La peur devant ce chaos se traduit en une pathologie de l’âme dont témoignent aussi bien les décors déformés que la gestuelle stylisée des acteurs. L’expressionnisme privilégie la représentation d’un monde aux dimensions distordues pour amener le spectateur à remettre en cause les apparences et les critères de la normalité. Les formes douloureuses et accidentée des décors, les images cauchemardesques et nerveuses en font le réceptacle des tensions de Weimar en même temps qu'un manifeste à la fois de l'esthétique expressionniste et du genre fantastique.

Chloé