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Les poings dans les poches, de Marco Bellochio (jeudi 27 septembre 2012)


Un extrait du film

Après le triomphe de la séance d'ouverture (mille mercis à tous !), le ciné-club poursuit sur sa lancée et vous invite à la seconde projection de l'année : Les poings dans les poches du réalisateur italien Marco Bellocchio, film noir de 1965.

Horreur dans la famille. Une famille renfermée sur elle-même, où fermentent les maladies héréditaires, les amours coupables, les haines hypocrites : une mère aveugle, littéralement et symboliquement ; une déliquescence fin de race, sombrant dans l'épilepsie et l'idiotie congénitale ; un jeune homme amoureux de sa soeur, assassinant sa mère et son frère : tels sont le cadre, le climat, le fil dramatique de ces Poings dans les poches.

Notez qu’exceptionnellement la séance aura lieu le jeudi 27 septembre, toujours en salle Dussane, toujours à 20h30.

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Et pour résumer :

Rendez-vous le jeudi 27 septembre, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm

pour
Les poings dans les poches
de Marco Bellocchio

Voici le synopsis distribué par nos soins lors de cette séance.

Italie, 1965, Noir et Blanc, 105 min.
Réal. Marco Bellocchio
Prod. Enzo Doria
Mus. Ennio Morricone
Photo. Alberto Marrama
Mont. Silvia Agosti (sous le pseudonyme de Aurelio Mangiarotti)
Int. Lou Castel (Alessandro), Paola Pitagora (Giulia), Marino Masè (Augusto), Liliana Gerace (la mère), Pierluigi Troglio (Leone), Jenny MacNeil (Lucia)

On considère habituellement les premiers films avec indulgence, comme des esquisses ou des coups d'essai ne laissant qu'entrevoir les thèmes, les images obsessionnelles et les idées fixes qui deviendront par la suite, avec l'expérience et la maturité, un véritable style. Pourtant, certaines entrées en cinéma démentent l'idée qu'un talent se forge progressivement et s'acquière à la suite d'un long processus de maturation. Le premier film de Bellocchio est à inscrire au nombre de ces surprenants débuts qui font date dans l'histoire du cinéma. Les poings dans les poche marque une fracture et déclenche à sa sortie en 1965 une polémique, entérinant l'arrivée d'un nouveau cinéma qui se revendique moins d'une tradition nationale que du courant des nouvelles vagues qui fleurissent depuis le début de la décennie.

Car si Bellocchio recourt à des éléments personnels pour nourrir ses premiers films, il ne les intègre qu'en tant qu'ils s'inscrivent dans un discours plus général sur la société de son temps. Le fief natal du réalisateur, cette grande maison familiale et décadente située sur les hauteurs de la campagne émilienne est le centre de gravité autour duquel se réunit une famille en crise. La folie, l'épilepsie, l'autisme et la cécité qui touchent les membres de cette lignée maudite semblent n'être que les réalisations concrètes du malaise diffus qui émanent des murs de la riche demeure patricienne.

Malaise dans la famille

Pour rendre tangible la dégénérescence de cette lignée, il faut cependant la confronter à son autre, la santé hygiéniste de la bonne société qui fleurit dans l'Italie du miracle économique. Il faut donc qu'au sein de ce foyer l'un des personnages échappe à la tare héréditaire, et se fasse le champion de la normalité. C'est le rôle dévolu au frère aîné, Augusto, qui se substitue à la figure du père et incarne le conformisme bourgeois. Il est le seul à se déplacer librement et par conséquent, l'unique conducteur. Mais ce privilège d'aînesse n'est pas synonyme de liberté, loin s'en faut. Son autorité n'est qu'apparente : le seul guide de la famille n'échappe ni au mouvement d'enfermement ni à la touffeur angoissante qui se resserre comme un étau autour de chacun. Le mouvement de la première scène signifie cette impossible fuite : la voiture d'Augusto, symbole de modernité, ne permet pas de s'enfuir vers un ailleurs où l'air serait plus respirable, elle fait au contraire chemin vers la maison où fermentent les maladies. Le mouvement de folie s'accélère à mesure que l'on s'élève dans les collines, et c'est précisément au cours du trajet vers la villa que les deux principaux névrosés font leur apparition. Pour leur entrée en scène, Bellocchio choisit de rompre avec la grammaire classique employée dans les premiers plans du film. Pour Giulia, la sœur jalouse et lascive, la caméra réalise quatre brefs travellings latéraux : nerveusement, l'objectif semble adopter le point de vue des deux motards qui tournent autour de la jeune fille perdue sur cette route de montagne. C'est en fait le premier moment où le spectateur perd ses repères, comme si cette soudaine déstabilisation du montage entérinait le passage à une autre réalité : de même que les deux garçons chutent de leur vespa, le spectateur doit accepter de se défaire de ses habitudes pour pénétrer dans un univers régi par d'autres lois. Cette trajectoire horizontale est immédiatement suivie par l'apparition verticale d'Alessandro, qui, elle aussi, tranche avec les codes habituels. Le protagoniste apparaît d'une façon aussi inattendue qu'inhabituelle. Non pas qu'il surgisse à l'improviste : il tombe littéralement dans le plan. C'est en sautant d'un arbre, comme un fruit trop mûr, et donc, par le haut du cadre, qu'Alessandro fait son apparition.

Le ver dans la pomme

Alessandro est la mauvaise graine : le film se fera le long développement de sa prise de pouvoir au sein de la famille, prise de pouvoir liée à une puissance destructrice qui fonctionne de façon implosive. Autrement dit, sa rébellion est toute interne : elle se glisse à l'intérieur du cadre pour mieux le dynamiter. Ce fonctionnement a pour conséquence collatérale et finale l'auto-destruction, puisque, allant jusqu'au bout de la logique implosive, Alessandro doit s'éradiquer lui-même pour éradiquer le mal. Il n'est jamais là où on l'attend, aucun de ses gestes, aucune de ses actions ne peuvent être anticipés. La lenteur et la douceur affectées peuvent aussi bien préparer une explosion d'agressivité que déboucher sur une déambulation maladive et hallucinée. Tout se passe comme si ce personnage à l'identité composite (il est appelé parfois Ale, parfois Sandro, sa personnalité ne pouvant être saisie dans un seul prénom) s'inventait à chaque mot, à chaque expression et à l'intérieur de chaque plan. Esthète solitaire, enfant capricieux, mélomane compulsif, professeur un brin dérangé, adolescent rebelle et psychopathe dangereux, Alessandro est irréductible à l'un de ces visages, et pourtant, il les incarne tous à la fois.

Pulsions frénétiques

Alessandro semble répondre à d'étranges impulsions : imprévisibles, certes, mais impérieuses. Il n'y a pas d'anticipation possible, c'est le moment qui décidera de la conduite à avoir. Ainsi s'insinue dans l'ordinaire de la vie de famille le venin du malaise. Il se glisse dans des faits et gestes quotidiens : les scènes les plus représentatives de ces pulsions inquiétantes ne sont pas forcément les morceaux de bravoure ni les scènes les plus impressionnantes, mais lorsque Bellocchio filme les repas. C'est effectivement autour de la table de la salle à manger que se dessinent les rapports de forces et que les petits détails des habitudes de famille sont filmés dans ce qu'ils ont d'étrange, d'incongru même, voire d'obscène. Le repas joue comme un révélateur des névroses familiales et permet de mettre à jour les différentes pulsions qui meuvent les personnages. Dans un très beau plan, Bellocchio résume magistralement l'agressivité sourde du protagoniste : la mère aveugle demande à son fils de lui couper sa viande. Alessandro s'exécute d'abord sans faire d'histoires. Au même moment, la bonne apporte un saladier empli de pommes. La caméra se rapproche des fruits, ne laissant dans le plan qu'Alessandro occupé à couper la viande, ainsi que le saladier vers lequel se tendent des mains. Dès que ces mains inconnues se mettent à palper les pommes pour choisir la meilleur, l'attention d'Alessandro se détourne de l'assiette de la mère. C'est d'abord un coup d'œil fugitif. Puis un autre. Une envie irrépressible de se libérer ses propres mains pour saisir une pomme. Sa voix se durcit, impatiente : la mère doit reprendre ses couverts pour qu'enfin soit satisfait le désir de pommes, désir dont on imagine qu'il est plus provoqué par ces mains sans visages que par une faim véritable. Tout est dit dans cet étrange ballet de mains et de regards : la mère handicapée comme poids inutile, le désir mimétique de s'emparer de ce que les autres ont à portée de main, la pulsion désirante comme principe moteur. En germe ici : le matricide, la révolte et l'inceste.

La tare se transmet de génération en génération ; les portraits des ancêtres accrochés aux murs, dans lesquels on se reflète ou que l'on brise, rappellent à chaque membre de la famille son appartenance et sa dette envers les pères. La révolte d'Alessandro consiste à briser la chaîne de maladie congénitale qui ronge comme un cancer la descendance de ces illustres aïeux. Révolte radicale, qui consiste à créer une deuxième chaîne plus solide encore. Tissant avec son frère et sa sœur un lien malsain de solidarité dans le meurtre, Alessandro recrée, dans la marge de celle que ses ancêtres ont formée, une communauté d'un type particulier, puisque vouée à l'auto-destruction.

Mélodie