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Blue Velvet, de David Lynch (mercredi 1er février 2012)

Bande-annonce du film Blue Velvet, de David Lynch



Nous poursuivons notre Cycle Rêve en vous proposant de pénétrer dans l'univers sombre, mystérieux et enfumé de David Lynch :
Épaulée par son amie Sandy, Jeffrey, un jeune homme, mène son enquête concernant une oreille humaine trouvée dans un terrain vague. Il croise sur son chemin Dorothy Vallens, une mystérieuse chanteuse de cabaret. 

Et pour résumer :

Rendez-vous le mercredi 1er février, à 20h30
en salle Dussane, au 45 rue d'Ulm
pour
Blue Velvet
de David Lynch


Blue Velvet, de David Lynch, au ciné-club de l'ENS

Dans la petite ville de Lumberton, les pelouses resplendissent sous le soleil, les fleurs soigneusement alignées brillent, les barrières en bois sont peintes en blanc. Ordre paisible et sans tâche que ne trouble qu’à peine l’attaque cardiaque du père de Jeffrey Beaumont (MacLachlan). Revenant de l’hôpital, celui-ci traverse une pelouse, et plus par ennui que par angoisse, lance des pierres sur une bouteille. C’est alors qu’il découvre, là, dans l’herbe, une oreille. Une oreille humaine, qui commence déjà à se putréfier. Rompt-il l’ordre édénique, ce fragment de corps dont la présence individuelle paraît dénuée de tout sens ? Pas vraiment, et les fourmis le savent bien, qui s’affairent déjà. Mais il sera l’occasion, pour Jeffrey et Sandy Williams (Laura Dern), la fille du marshall, de se lancer dans une enquête. Ces jeunes naïfs montrent déjà plus de fascination que de dégoût, et plus encore quand cette oreille se révèlera la clé d’un univers étrange et irréel...

Une œuvre charnière de David Lynch

Réalisé en 1985, Blue Velvet marque un moment singulier dans le travail de Lynch. Venu du cinéma expérimental, celui-ci produit, à partir de la fin des années 1970, les œuvres qui vont assurer son succès tout en réorientant ses préoccupations. Eraserhead (1977), par un mariage inédit du symbolisme et de l’animation, Elephant Man (1980), par la magnifique photographie du noir et blanc (signée Freddie Francis) renouaient avec un désir esthétique absolu. Ces films orientaient Lynch vers des domaines déjà arpentés par l’un de ses maîtres, Ingmar Bergman : il n’y a dans ses contes métaphysiques aucun second degré protecteur, ils nous emmènent dans les régions les plus intimes de l’inconscient. D’un autre côté, Lynch monte ses œuvres selon une intrigue et un mode de narration conventionnelle. On le retrouvera dans Blue Velvet.


Ce film, comment le caractériser ? On retrouve le flou habituel qui entoure la classification des œuvres de Lynch. Blue Velvet commence come un polar, menant deux jeunes personnes de la pelouse où a été retrouvée la trace du crime à la zone industrielle, en passant par les habituels diners où ils jouent les détectives et tombent amoureux. Mais ce faux polar bascule finalement dans un cauchemar langoureux, entraînant personnages et spectateurs dans un univers expressionniste, onirique et bigarré. La réussite du film tient à ce qui fera la renommée de Lynch, dans la série Twin Peaks ou Mulholland Drive, c’est-à-dire le mélange subtil d’étrange et de familier. Du récit erratique de Blue Velvet à sa bande son, qui oscille de la musique ouatée et doucement effrayante d’Angelo Badalamenti (coécrite par Lynch lui-même) à des anodines ballades pop, comme celle qui donne son nom au film, tout désoriente et angoisse le spectateur.

Le revers de l’american way of life

Les commentaires autour du film de Lynch ont pris notamment pour sujet la vision négative proposée par l’auteur de la vie dans les banlieues pavillonnaires, où résident les classes moyennes américaines. Comme dans American Beauty des années plus tard, une violence, un malaise, une horreur cachés s’y réveillent. L’évocation chez Lynch en est d’ailleurs peut-être moins subtile que fascinante et élégante. Une controverse, qui n’avait que peu de raisons d’être, tant le film se refuse à la provocation, s’éleva face à la violence sexuelle de certains moments, et à la figure du psychopathe sadique joué par Dennis Hopper. En réalité la présence de Hopper est pleine de sens. Lui qui symbolisait la génération d’indépendants à la fin des années 1960, ces jeunes gens épris de liberté et de grands espaces, incarne Franck Booth, le démon de Lumberton, c’est-à-dire d’un endroit fixe, inamovible, qui se complaît sans sa tranquillité apparente. Booth n’est pas l’opposé de ces jeunes qui portent la contre-culture. Il en était, et il a vieilli. Il est devenu un tortionnaire pervers et malade.

Derrière la crise existentielle du mode de vie des Américains « moyens », se cache cependant une réflexion de David Lynch sur l’un de ses thèmes favoris : le voyeurisme. Au moment de pénétrer dans le logement de la danseuse du night-club Dorothy Vallens (Isabella Rossellini), Jeffrey montre une excitation qu’il n’avoue ni à Sandy ni à lui-même. « I’ll bet a person could learn a lot by getting in that woman’s apartment… ». Contrairement à Fenêtre sur cour d’Hitchcock ou Blow up d’Antonioni, le voyeur ne tente pas ici de reconstituer la réalité à partir d’indices volés par la vue, mais, immédiatement pris sur le fait, il est contraint d’en voir beaucoup plus qu’il ne le souhaitait. La scène du viol nous plonge dans une analogie problématique avec le rêve : est-ce un simple cauchemar, révélant les fantasmes du héros ? Ou le rêve permet-il de se dissimuler la lâcheté, l’inaction du témoin ?

Carl-Loris